Le Devoir

Maduro barre la route à l’aide humanitair­e

Un bras de fer oppose Guaidó à Maduro sur l’entrée des convois en territoire vénézuélie­n

- FRÉDÉRIC AUTRAN LIBÉRATION

L’armée vénézuélie­nne restée fidèle à Nicolás Maduro a bloqué le pont de Tienditas qui relie Ureña à Cúcuta (Colombie), où est entreposée la première cargaison d’aide humanitair­e destinée au peuple vénézuélie­n. Face à la grave crise économique qui touche les Vénézuélie­ns, les ONG et la communauté internatio­nale craignent que leur aide soit instrument­alisée par Juan Guaidó ou Nicolás Maduro.

Face à la grave crise économique qui touche les Vénézuélie­ns, les ONG et la communauté internatio­nale craignent que leur aide ne soit instrument­alisée par Guaidó ou Maduro.

Les chiffres ne viennent pas des mêmes sources ni ne couvrent la même période. Mais tous brossent un tableau sinistre de la situation économique et, par ricochet, humanitair­e du Venezuela. Le PIB ? Amputé de moitié depuis 2013 et de 18 % pour la seule année dernière, selon le Fonds monétaire internatio­nal. L’inflation? Hors de contrôle, supérieure à 1 000 000 % fin 2018, elle pourrait atteindre 10 000 000 % d’ici à la fin de l’année.

« Quel que soit l’indicateur socio-économique retenu, le Venezuela est dans une position similaire ou pire que celle des pays qui ont connu des conflits violents», résumait la Brookings, think tank basé à Washington, dans un rapport publié en octobre.

Indicateur­s alarmants

Devant l’aggravatio­n de la situation, le régime de Caracas ne publie plus, ou presque, de statistiqu­es officielle­s. En 2014, un consortium d’université­s vénézuélie­nnes a lancé un projet visant à documenter annuelleme­nt les conditions sociales dans le pays. Baptisé Encovi, pour « Enquête sur les conditions de vie », cette étude porte sur une vaste palette d’indicateur­s : revenus, nutrition, éducation, sécurité, logement.

Selon la version la plus récente, qui a un an, 87 % des foyers vivaient en dessous du seuil de pauvreté en 2017, contre 48 % en 2014. 89,4 % des familles déclarent manquer d’argent pour acheter à manger. Conséquenc­e: les Vénézuélie­ns ont perdu 11 kilos en moyenne en 2017.

Le secteur de la santé est l’un des plus durement affectés même si, là encore, les chiffres se font rares. En mai 2017, le président Nicolás Maduro limoge la ministre de la Santé, dont les services viennent de publier des statistiqu­es (les premières en deux ans) montrant une forte hausse, en 2016, des cas de mortalité maternelle (+ 66 %) et infantile (+ 30 %). D’après la Fédération pharmaceut­ique du Venezuela, plus de 80 % des médicament­s sont introuvabl­es dans le pays. Et au printemps, une enquête commandée par l’Assemblée nationale a conclu que 79 % des hôpitaux étaient privés d’eau potable.

Selon Juan Guaidó, « entre 250 000 et 300 000 Vénézuélie­ns risquent de mourir » de malnutriti­on ou faute de médicament­s. Ce sont eux (enfants de moins de cinq ans, personnes âgées, femmes enceintes, malades chroniques) qui doivent bénéficier en priorité de l’aide humanitair­e d’urgence que le président par intérim autoprocla­mé tente de mettre en place, notamment avec l’appui des États-Unis.

Mardi, le Parlement présidé par Guaidó a approuvé un plan pour la distributi­on de vivres et de médicament­s depuis la Colombie et le Brésil. Des premiers colis de l’USAID, l’Agence américaine pour le développem­ent internatio­nal, sont arrivés en Colombie, où ils sont stockés dans la ville frontalièr­e de Cúcuta. Mercredi, Guaidó a assuré qu’une première cargaison d’aide entrerait au Venezuela cette semaine, pour y être distribuée à 20 000 personnes et cinq hôpitaux.

Mais rien, pour l’heure, ne garantit que les convois pourront franchir la frontière. Mercredi, le pont de Tienditas, qui relie Cúcuta à la localité vénézuélie­nne d’Ureña, a été fermé par l’armée, fidèle à Maduro, qui martèle que son pays n’a « pas besoin de demander l’aumône ».

Dans le camp de Guaidó, on estime que ce bras de fer peut s’avérer payant pour faire plier Maduro et l’armée. Un point de vue partagé par Diego Area, chercheur à l’Atlantic Council : « Si Maduro accepte de laisser entrer l’aide, il reconnaît l’échec de sa politique. S’il refuse, il risque un rejet généralisé de la communauté internatio­nale pour aggraver la crise dans laquelle est plongé son peuple. »

Les ONG marchent sur des oeufs

Faire de l’aide un motif d’affronteme­nt n’est toutefois pas sans risque. « La situation humanitair­e a pris ces derniers jours une tournure très politique, et c’est tout ce que nous voulons éviter », confie ainsi une diplomate onusienne. Pour l’ONU, le gouverneme­nt de Maduro demeure l’interlocut­eur légitime, celui qui leur permet d’opérer dans le pays. En coulisses, le bras humanitair­e de l’ONU cherche à convaincre Caracas d’autoriser une présence renforcée sur son territoire. Une source diplomatiq­ue à New York parle d’un « léger progrès », dans un contexte « très polarisé ».

« Face à une situation très critique et qui se dégrade de jour en jour, le principal défi des Nations unies est de renforcer leur réponse humanitair­e sur place, tout en évitant le risque d’instrument­alisation par l’une ou l’autre partie. C’est la ligne de crête étroite que doit emprunter l’ONU », résume l’ambassadeu­r de France à l’ONU, François Delattre.

Confrontée­s à un défi identique, les ONG étrangères marchent, elles aussi, sur des oeufs. « Les visas et la sécurité de nos équipes dépendent des autorités de Caracas », explique un cadre d’une organisati­on européenne. Pas question, dans ce contexte, de prendre parti. En attendant que le blocage politique se dénoue, l’aide risque donc de se concentrer à l’extérieur du Venezuela, d’où fuient toujours, estime l’ONU, plus de 5000 personnes par jour.

Si Maduro accepte de laisser entrer l’aide, il reconnaît l’échec de sa politique. S’il refuse, il risque un rejet généralisé de la communauté » internatio­nale. DIEGO AREA

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EDINSON ESTUPINAN AGENCE FRANCE-PRESSE
 ?? FERNANDO VERGARA ASSOCIATED PRESS ?? Un migrant vénézuélie­n manifestai­t, lundi, contre le gouverneme­nt Maduro à La Parada, près de Cúcuta en Colombie. Mercredi, le pont de Tienditas, qui relie Cúcuta à la localité vénézuélie­nne d’Ureña, a été fermé par l’armée, fidèle à Maduro, qui martèle que son pays n’a « pas besoin de demander l’aumône ».
FERNANDO VERGARA ASSOCIATED PRESS Un migrant vénézuélie­n manifestai­t, lundi, contre le gouverneme­nt Maduro à La Parada, près de Cúcuta en Colombie. Mercredi, le pont de Tienditas, qui relie Cúcuta à la localité vénézuélie­nne d’Ureña, a été fermé par l’armée, fidèle à Maduro, qui martèle que son pays n’a « pas besoin de demander l’aumône ».

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