L’habit est le message
La balade en blanc des élues américaines en témoigne
Il faut se fier aux apparences. Et, très franchement, l’habit fait le moine. Mardi soir, à Washington, rassemblées pour entendre le discours sur l’état de l’Union du président Trump, les élues démocrates étaient toutes en blanc. Elles formaient un bloc homogène, agité mais uni, avec un je-nesais-quoi d’espiègle et de malicieux. Même Nancy Pelosi, leader et doyenne de la chambre basse, avait opté pour un tailleur crème.
La vague symbolique coordonnée honorait la lutte pour le droit de vote des femmes américaines obtenu il y a un siècle, très exactement. Les suffragettes, féministes de la première vague, optaient presque toujours pour des vêtements sobres et conformistes, le plus souvent blancs, afin de présenter une image immaculée et bien seyante du mouvement.
En anglais yankee, on parle encore du white suffragette. La candidate Hillary Clinton avait elle aussi usé du message en blanc en acceptant la nomination comme candidate à la présidence en 2016 comme lors du troisième débat avec son adversaire républicain Donald Trump.
«C’est vraiment formidable, ce qui vient de se passer sous nos yeux, et je crois que ce que ces dames ont fait va rester gravé dans la mémoire politique américaine pour toujours », dit Diane Pacom,
professeure émérite du Département de sociologie de l’Université d’Ottawa. « En se regroupant, elles ont formé un bloc blanc qui agissait en fait comme un trou noir en absorbant toute l’énergie de l’assemblée. »
La professeure Pacom fait référence à l’historien des idées Michel Foucault (« le plus grand penseur du XXe siècle ») et à sa vision du corps comme espace politique.
« Le corps social est le corps vêtu, ditelle. Il acquiert ainsi une importance capitale en devenant un signe, un symbole de ce que chacun est. Le vêtement est une forme de langage. Il sert à exprimer des croyances religieuses ou des idées politiques. Et comme le corps de la femme a été réglementé de façon plus stricte que le corps de l’homme, c’est très fort que des femmes politiques choisissent de faire un statement de cet ordre en s’habillant comme leurs soeurs suffragettes du passé. »
La représentante du Minnesota Ilhan Omar, une des deux élues musulmanes du Congrès, avait agencé son hidjab à son costume blanc. La troisième vague féministe est en marche.
Tout corps est politique
L’utilisation et la critique du vêtement à des fins politiques sont partout. La nouvelle ministre québécoise de la Condi- féminine, Isabelle Charest, vient de pourfendre le hidjab comme « symbole d’oppression ».
En France, les manifestations des gilets jaunes ébranlent le gouvernement depuis des mois. Un contre-mouvement s’organise autour de défenseurs autoproclamés de la République arborant des écharpes rouges.
Tout corps est politique, mais le corps des gens de pouvoir le devient encore plus. Brigitte Macron a été attaquée virtuellement pour avoir porté des baskets de luxe à 1000 $ lors d’une sortie officielle en Égypte le 27 janvier.
Des internautes (disons conspirationnistes) ont déniché un message belliqueux caché dans le choix du costume vaguement militaire que portait la première dame au discours sur l’état de l’Union mardi alors que son mari président en appelait à la collaboration bipartisane des élus. Le styliste Hervé Pierre, qui a lui-même acheté la robe sombre à New York pour Melania Trump, a rejeté totalement cette interprétation.
La représentation et le pouvoir avancent en cordée depuis l’invention de la politique. D’autres époques ont d’ailleurs connu des charges symboliques autrement plus profondes que la controverse suscitée récemment par la tuque ou le t-shirt de Catherine Dorion.
Philippe Denis, doctorant et chargé de cours à l’École supérieure de mode de l’UQAM, évoque le mouvement des Incroyables et des Merveilleuses du Directoire (1795-1799) en France. La jeu- nesse adopta alors des tenues et des coiffures de plus en plus extravagantes. Les femmes s’habillèrent ou plutôt se déshabillèrent « à la grecque », de façon de plus en plus légère et transparente. Ces élégants étiolés par la Terreur se mirent aussi à ne presque plus prononcer les R, peut-être par disgrâce du mot révolution.
« À la limite, les Incroyables et les Merveilleuses soulignaient le fait d’être encore vivants, de s’en être sortis, dit M. Denis. Les Incroyables vont par exemple dégager leur chevelure sur la nuque pour rappeler les têtes tombées sur l’échafaud. Les mouvements de mode critique utilisent le vêtement pour symboliser une position ou une opposition. Il n’y a rien de nouveau. »