Citoyens québécois et musulmans
S’agissant du débat sur la laïcité, les déclarations publiques des derniers jours ont clairement fait ressortir les limites, sinon les contradictions du débat dans lequel s’engage présentement la société québécoise. En plus des obstacles légaux qui se dressent sur le chemin de la future loi, inscrits dans la Charte des droits et libertés de la personne, et des risques de dérapage politique disgracieux, apparaissent maintenant de manière plus évidente les conséquences sociales déplorables du projet que caresse le gouvernement caquiste.
Il n’est pas nécessaire d’être un grand clerc pour comprendre que le programme législatif du premier ministre vise avant tout les musulmans, et particulièrement les femmes musulmanes. On ne voit pas très bien, en effet, dans le discours actuel, quel autre groupe ou communauté religieuse pourrait se mériter une attention aussi soutenue. À tout le moins, il est facile de prévoir que la loi atteindrait avec plus de force les femmes qui se voilent le visage en tout ou en partie ; ce qui revient à dire qu’elle s’appliquerait avec plus de sévérité et de régularité à une minorité bien déterminée de la société. Ce parti pris est contraire à l’esprit de la démocratie et au traitement équitable que l’État doit réserver à tous ses citoyens. La loi projetée porte aussi, bien au-delà de la fonction publique et du secteur de l’enseignement, des risques de stigmatisation évidents. Même si elles n’entrent pas sous le coup de la loi, un grand nombre de femmes musulmanes et de personnes appartenant visiblement à des traditions non chrétiennes seront touchées indirectement sur le marché du travail par ces mesures législatives. Elles seront à tout le moins soumises à une attention médiatique disproportionnée et désignées à l’opprobre général.
Besoins à court terme
En l’absence de crise sociale aiguë ou de raisons pressantes d’agir, le gouvernement n’intervient ici qu’en fonction de ses besoins politiques à court terme. Qui a dit que la laïcité était un enjeu à régler une fois pour toutes par l’État, de surcroît en utilisant un arsenal législatif musclé? Bien au contraire, le pluralisme religieux fait partie d’un ensemble de valeurs qui sont soumises à des négociations constantes entre les différents acteurs sociaux, le plus souvent avec des résultats positifs et raisonnables. L’État n’a pas pour rôle de juger laquelle des traditions religieuses a le plus de valeur dans sa forme extérieure ou sur la place publique. Il doit plutôt jeter un regard neutre et bienveillant sur toutes les croyances et préserver la liberté de conscience de tous les citoyens.
Rédiger une loi qui vise un groupe religieux en particulier mènera à une intensification des formes d’hostilité qui s’exercent déjà contre les musulmans au sein de la société québécoise. L’impair législatif est d’autant plus lourd de conséquences qu’en agissant ainsi, le gouvernement bloque la voie à une intégration réussie des femmes musulmanes au sein de la société québécoise et relaie une attitude préjudiciable. Privées d’accès à l’emploi, de leur dignité de citoyen et des moyens d’entrer en contact avec la majorité francophone, les personnes que la future loi désigne comme fautives se trouveront encore plus isolées et ostracisées qu’auparavant.
Ceux et celles que le premier ministre pointe du doigt subiront longtemps les conséquences d’un programme législatif irréfléchi, aux objectifs nébuleux et formulé de manière approximative. Loin de faciliter la transition vers une pleine participation de tous, on peut prévoir que le gouvernement va plutôt durcir les oppositions à la diversité culturelle au sein de notre société et aggraver les préjugés envers les minorités religieuses, notamment musulmanes. Il confortera aussi dans leur opinion défavorable une partie de la population qui se méfie déjà de l’altérité sous toutes ses formes. Nul besoin de chercher très loin dans l’actualité les preuves d’une hostilité latente à l’endroit de l’islam de la part de certains individus peu tolérants, et que les médias relaient avec régularité. Exactement le contraire de ce que les caquistes prétendent accomplir par leur programme législatif et les moyens qu’il propose, c’est-à-dire en limitant les libertés fondamentales d’une fraction de la population et en réduisant ouvertement le droit des individus à l’expression de leurs convictions profondes. Plutôt que ce coup de force législatif, il vaudrait mieux que le gouvernement s’engage à développer une attitude préventive et accueillante envers la diversité, qu’il se résolve à accompagner les minorités vulnérables et à éduquer la population en général.
Il n’est pas nécessaire d’être un grand clerc pour comprendre que le programme législatif du premier ministre vise avant tout les musulmans, et particulièrement les femmes musulmanes