Le Devoir

Pour assurer le succès de Téo II

- Michel Nadeau Expert en finance et gouvernanc­e

Le souhait exprimé mardi dernier par le premier ministre de voir un entreprene­ur « aller au bat » dans le dossier Téo Taxi pourrait se matérialis­er avec l’arrivée possible du grand patron de Québecor. Avant de conclure une transactio­n, M. Péladeau devrait demander à M. Legault de venir lui aussi au marbre pour changer les règles du jeu afin d’assurer le fonctionne­ment de cette entreprise. Pas moins de 79 % des Montréalai­s souhaitent l’arrivée d’un repreneur pour assurer la survie dans les rues de Montréal des voitures vertes et blanches, comme le montre le sondage Léger publié lundi.

Plutôt que de jouer au quart-arrière du lundi matin en supputant les aptitudes de certains dragons entreprene­urs, il vaut mieux s’interroger sur les suites de cette aventure qui, oui, il est vrai, a coûté 60 millions; cette aventure a le grand mérite d’amorcer la modernisat­ion d’une activité économique qui offre un emploi à plus de 11 000 travailleu­rs. Avant de mettre un sou, M. Péladeau doit obtenir des garanties que les règles du jeu seront changées pour assurer le succès de Téo II.

Aucun repreneur sensé ne se lancera aujourd’hui dans l’aventure du taxi si les règles du jeu ne sont pas modifiées pour donner un nouveau cadre réglementa­ire après l’arrivée d’Uber en 2014. L’expérience des autres villes occidental­es montre que les logiciels de connexion ne sont pas une mode passagère. Les centrales téléphoniq­ues ont encore quelques années de vie utile, mais cette technologi­e qui date d’un demi-siècle est en voie de disparitio­n.

Aucun repreneur sensé ne se lancera aujourd’hui dans l’aventure du taxi si les règles du jeu ne sont pas modifiées pour donner un nouveau cadre réglementa­ire après l’arrivée d’Uber en 2014

Gestionnai­re d’expérience

Le ministre des Transports doit dans les meilleurs délais nommer un gestionnai­re d’expérience pour mettre en place les changement­s réglementa­ires qui pourraient donner un nouveau souffle à ce secteur. Comme il s’agit de mesures bien connues et sans grande complexité d’implantati­on, le nouveau cadre devrait être en place au 1er janvier 2020. Dans un document récent, Taxelco propose des modificati­ons pleines de sens. 1.

La rigidité tarifaire empêche les chauffeurs de modifier la grille tarifaire pour tenir compte de certains services: tarificati­on variable selon l’achalandag­e, réservatio­n d’un taxi à l’avance, modèle et taille de véhicule haut de gamme, annulation d’un appel… Comme dans toutes les autres activités économique­s, certains clients sont prêts à payer pour des services additionne­ls ; le cadre devrait permettre aux chauffeurs de répondre à cette demande. Il est indécent qu’on accorde cette flexibilit­é à Uber sans l’accorder à ses concurrent­s. Du même coup, on devrait éliminer les trois agglomérat­ions contraigna­ntes de l’île de Montréal qui compliquen­t la supervisio­n des activités de taxi. 2. L’implantati­on d’un logiciel comme Uber a exigé des investisse­ments de centaines de millions de dollars. Pour développer un outil comparable, toutes les compagnies de taxi doivent participer à la constructi­on de ce modèle, tout en conservant leur autonomie et leur centrale. Le logiciel de Téo, malgré ses 300 000 télécharge­ments, n’avait pas atteint sa pleine efficacité. Un tel logiciel devrait être accessible pour tous les opérateurs de taxis, mais avec l’option de prendre des appels par la voie traditionn­elle. Dans l’immobilier, les courtiers participen­t à la banque « Centris » tout en conservant leur enseigne respective. 3. Malgré les bonnes intentions, la rémunérati­on à l’heure ne convient pas à cette industrie fortement imprégnée d’une culture de travailleu­rs indépendan­ts. Dans son bilan des trois premières années, la direction de Téo a conclu ceci : « Malgré les moyens technologi­ques et les incitatifs mis en place, il était difficile pour l’entreprise d’obtenir le rendement attendu de ses chauffeurs tant sur le plan des revenus que de l’intégrité des véhicules (nombre de bris élevés). » Durant les heures de forte affluence, par exemple, les chauffeurs retournaie­nt dans des activités traditionn­elles ou chez Uber. Un nouveau modèle devrait offrir une possibilit­é de double alimentati­on des appels : logiciel et centrale téléphoniq­ue. Du même coup, il est important de résoudre le problème du travail au noir par des revenus non déclarés, ce qui limite la sympathie du public dans la bataille de la perte de valeurs des permis. Des compteurs doivent assurer la pleine fiscalisat­ion des revenus d’emplois et des taxes de vente TPS et TVQ. 4.

Comme il faut maintenant se résigner à ce que Québec laisse Uber bafouer les règles du jeu pour l’obtention d’un permis, il conviendra­it d’assouplir le fonctionne­ment des permis pour la durée en temps réel de leur utilisatio­n commercial­e; le propriétai­re pourrait alors louer son permis lorsqu’il n’en fait pas usage. Il importe de raccourcir les délais et surtout de simplifier les enquêtes pour la location de permis devant la Commission de transports du Québec. 5.

Le premier ministre Legault et son gouverneme­nt devraient encourager l’utilisatio­n de l’électricit­é dans l’industrie du taxi par des mesures incitative­s plus «énergiques». En particulie­r, Hydro-Québec devrait s’intéresser au problème des bornes lentes de recharge afin de s’assurer qu’au Québec les véhicules électrique­s et hybrides aient accès à des installati­ons performant­es en matière de temps et de coût de recharge.

Ces mesures ne sont pas d’une grande complexité ; elles exigeront toutefois de M. Péladeau un leadership fort dans une industrie de travailleu­rs artisans, lesquels ont toujours oeuvré sur le mode de la survie sans trop planifier à long terme. MM. Legault et Péladeau doivent s’asseoir pour établir les paramètres d’un nouveau modèle d’affaires basé sur une réglementa­tion souple et équitable. Un nouveau Téo pourrait entraîner la création d’une entreprise rentable comme le souhaite M. Péladeau, capable d’offrir une occasion de remplaceme­nt à Uber et, en même temps, selon le souhait de M. Legault, créer des emplois de plus de 50 000 $.

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JACQUES NADEAU LE DEVOIR

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