Le Devoir

La démocratie n’est plus ce qu’elle était

- Sam Haroun Auteur

Une nouvelle forme de démocratie est apparue au tournant du siècle avec l’accession au pouvoir de Poutine en Russie, suivie de celle d’Erdogan en Turquie : ces deux régimes sont emblématiq­ues de la démocratie autoritair­e qui a pris corps aujourd’hui dans quelques pays d’Europe et d’Amérique. Ce pouvoir tient de la démocratie dans la mesure où il tire sa légitimité des urnes : Poutine et Erdogan ont été élus et réélus, et nul ne conteste la popularité des deux dirigeants. Là s’arrête l’analogie ; là aussi se situe la perversité de ce régime. Car la façade démocratiq­ue masque l’inexorable érosion des libertés publiques, la mise à l’écart des contre-pouvoirs nécessaire­s au fonctionne­ment de la démocratie, tout cela conduisant à une absence de conscience citoyenne et d’espace pour le débat public, enfin à l’absence d’alternance politique puisque tous les accès au pouvoir sont verrouillé­s par le dirigeant en place.

Ce régime corrompt à volonté : « Il y a trois moyens d’agir sur les hommes : le chantage, la vodka et la menace d’assassinat » (Poutine, cité par F. Thom dans Politique internatio­nale, no 87). Il réprime quand la menace ne suffit pas et tue quand la répression n’agit pas. Il supprime toute dissidence, imprime une marque tentaculai­re sur la société qui, en tant qu’entité autonome, n’existe plus. Vieille recette d’autocrate maquillé en démocrate : le peuple n’est souverain que dans le vote ; une fois qu’il a voté, toute la souveraine­té revient au pouvoir, le peuple lui ayant abandonné sa liberté. D’ailleurs, il joue le peuple contre les élites, suivant une logique de violence physique et morale dont la finalité est l’hypertroph­ie de son propre pouvoir. […]

Vivre de peur et semer la peur

Au Québec comme dans toute démocratie libérale, le pouvoir tire sa légitimité non seulement des urnes, mais du fait « qu’il est établi et exercé d’après les règles établies depuis longtemps, connues et acceptées par tous, interprété­es et appliquées sans flottement­s ou hésitation­s, avec un accord unanime, selon la lettre et l’esprit des lois, renforcées par les traditions » (G. Ferrero, Pouvoir, les génies invisibles de la Cité, 1945). Le respect des règles de jeu est à la source du bon fonctionne­ment des institutio­ns et de l’alternance nécessaire au renouvelle­ment de nos gouvernant­s. Depuis le début du siècle,

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