Le Devoir

Le goût des autres

Un quart de siècle après sa parution au Rideau vert, la pièce Art de Yasmina Reza fait toujours effet

- MARIE LABRECQUE COLLABORAT­RICE Art Texte: Yasmina Reza. Mise en scène: Marie-France Lambert. Au Théâtre du Rideau vert jusqu’au 2 mars.

C’est ce qu’on appelle une valeur sûre. Avec Art, le Théâtre du Rideau vert remonte une populaire pièce qu’il avait fait découvrir aux Montréalai­s en 1996, soutenue par une forte distributi­on (Robert Lalonde, Jacques Girard et Marc Labrèche). Et à l’heure des like sur les réseaux sociaux, où ce qu’on aime définit plus que jamais qui on est, nous positionne sur l’échiquier social et idéologiqu­e dans un monde qui peine à accepter les opinions divergente­s, ce conflit esthétique entre le conservate­ur, le branché « modernissi­me » et l’indécis — pour caricature­r — n’a pas perdu sa pertinence.

Dans Art, rappelons-le, trois vieux amis — déjà bien différents au départ — voient leur relation ébranlée par un geste a priori anodin : l’achat à prix prohibitif d’un tableau d’une blancheur immaculée. Un choix artistique qui s’avère insupporta­ble pour Marc l’ingénieur, menaçant sa vision même de Serge. Au-delà de la perception d’une oeuvre d’art, la dramaturge française traite d’abord ici, habilement, de perception­s dans les rapports humains. Cette toile va devenir un révélateur des discours et postures auxquels les personnage­s s’accrochent, de leurs attentes les uns envers les autres, et va remettre en question les fondements mêmes de leur amitié.

D’emblée, cette nouvelle production semble miser sur la familiarit­é existant entre ses trois interprète­s, eux-mêmes amis et partenaire­s dans un théâtre d’été. Si bien que lorsqu’ils se présentent à l’avant-scène, avant le lever du rideau, on ne sait plus s’ils sont dans la peau de leurs personnage­s ou en tant qu’eux-mêmes, déjà complices avec le public. Art contient d’ailleurs plusieurs apartés adressés aux spectateur­s — qui permettent de mesurer la différence entre les pensées du trio et ce qu’ils dévoilent vraiment aux autres.

Admettons qu’avec cette triade de comédiens réputés pour leurs dons comiques, on craignait un peu de voir ce texte déjà satirique basculer franchemen­t dans la pure comédie. Cette dimension ressort beaucoup — il est probableme­nt possible de n’y voir que cette lecture —, mais pas d’une façon outrancièr­e. Benoît Brière défend avec conviction son personnage de poseur sans abuser de ses immenses moyens comiques. Et Martin Drainville s’impose en donnant à son Marc, le plus sombre des trois, une colère rentrée palpable.

Luc Guérin, qui se dépense beaucoup sur scène, récoltant moult rires, me semble verser davantage dans un caractère caricatura­l. Faire-valoir et centre mou du conflit idéologiqu­e, le personnage d’Yvan, certes, est souvent ridicule. Mais ses failles terribleme­nt humaines en font une figure qui devrait être assez pitoyable, et ultimement attachante.

Le spectacle soigneusem­ent mis en scène par Marie-France Lambert — une première pour cette excellente comédienne — est visuelleme­nt attrayant. Plus, l’ingénieuse scénograph­ie de David Gaucher et les éclairages de Lucie Bazzo aux couleurs fortes, souvent monochrome­s, qui l’habitent, font écho à l’univers de la pièce.

Au-delà de la perception d’une oeuvre d’art, la dramaturge française traite d’abord ici, habilement, de perception­s dans les rapports humains

Benoît Brière défend avec conviction son personnage de poseur sans abuser de ses immenses moyens comiques. THÉÂTRE DU RIDEAU VERT

Martin Drainville s’impose en donnant à son Marc, le plus sombre des trois personnage­s, une colère rentrée palpable. THÉÂTRE DU RIDEAU VERT

Luc Guérin, qui se dépense beaucoup en scène, récoltant moult rires, semble verser davantage dans un caractère caricatura­l. THÉÂTRE DU RIDEAU VERT

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