Le Devoir

Des candidats à l’immigratio­n pourraient poursuivre Québec

Le gouverneme­nt fait passer à la trappe les 18 000 dossiers en attente

- MARCO BÉLAIR-CIRINO CORRESPOND­ANT PARLEMENTA­IRE ISABELLE PORTER À QUÉBEC

Le ministre Simon Jolin-Barrette exposera le gouverneme­nt québécois à des poursuites judiciaire­s s’il élimine les 18 000 demandes d’immigratio­n non traitées, comme le prévoit le projet de loi 9 qu’il a déposé à l’Assemblée nationale jeudi, avertissen­t des juristes.

« Derrière ces 18 000 dossiers, il y a des milliers de personnes, des individus, des femmes, des enfants, des fa- milles qui, dans certains cas, ont investi temps et argent pour immigrer au Québec », souligne l’avocat spécialisé en immigratio­n Stéphane Handfield. « Jamais on ne leur a laissé sous-entendre qu’un jour, si les délais s’accumulaie­nt, on leur renverrait leurs demandes. On cause des dommages à ces gens-là. Ça pourrait ouvrir la porte à des poursuites. »

« On évalue les recours », a quant à lui signalé au Devoir le président de l’Associatio­n québécoise des avocats et avocates en droit de l’immigratio­n (AQAADI), Guillaume Cliche-Rivard. « Pourquoi est-ce qu’on n’accélère pas plutôt le traitement des dossiers en attente ? » demande-t-il.

« Dans certains cas, les gens attendent depuis cinq ans », ajoute Me Handfield. Quand on lui fait remarquer que ces personnes n’ont peut-être pas les moyens financiers d’intenter des poursuites contre le gouverneme­nt, l’avocat répond qu’une «action collective pourrait peut-être être engagée ».

L’avocat Stéphane Handfield fait d’ailleurs remarquer que le gouverneme­nt Harper avait été poursuivi pour les mêmes raisons en 2012 quand il a annoncé l’éliminatio­n de 280 000 dossiers en attente. Un groupe d’avocats avait porté la cause devant la Cour fédérale au nom de 1500 aspirants immigrants, mais la Cour avait finalement donné raison au gouverneme­nt fédéral.

Jeudi, M. Jolin-Barrette a fait savoir qu’il comptait rembourser tous ceux qui ont fait une demande dans le cadre du Programme régulier des travailleu­rs qualifiés avant le 2 août 2018 et pour laquelle ils n’ont pas obtenu de réponse du ministère de l’Immigratio­n.

L’opération de remboursem­ent pourrait coûter environ 19 millions de dollars à l’État québécois, puisque chacun des candidats a déboursé quelque 1000$ pour préparer et déposer un dossier au ministère.

M. Jolin-Barrette a souligné que cette « mesure forte » est « la seule capable de dénouer une impasse qu’on ne doit plus accepter ».

Pourtant, le premier ministre François Legault avait assuré à la presse, il y a moins de dix jours, que les 18 000 demandes qui s’empilent sur les bureaux des fonctionna­ires du ministère de l’Immigratio­n seraient traitées. « Ces 18 000 dossiers-là vont devoir être traités avec les anciennes règles. Après, on va mettre en place nos mesures », avaitil affirmé le 29 janvier dernier.

Les partis d’opposition à l’Assemblée nationale ont tour à tour dénoncé jeudi la décision du gouverneme­nt caquiste de faire table rase des 18 000 dossiers non traités, qui concernera­ient environ 50 000 personnes (chaque dossier représente une famille).

« On trouve ça vraiment dommage que ce soit rejeté comme ça, du revers de la main », a dit la députée péquiste Catherine Fournier. La réputation du Québec sur la scène internatio­nale en pâtira, est persuadée l’élue libérale Dominique Anglade. « C’est un projet de loi d’abord très inhumain », a-t-elle lâché.

Le député solidaire Andrés Fontecilla redoute de voir des personnes établies au Québec ayant formulé certaines des 18 000 demandes se faire montrer la porte. « Elles se retrouvent devant le néant. [Elles se disent :] “Estce que mon dossier va être effacé ? On va me renvoyer mes 1000 $, et puis voilà, prends les billets d’avion et retourne dans ton pays” », a-t-il suggéré.

Bien qu’il ait « de la compassion pour ceux qui étaient sur la liste, le Conseil du patronat considère pour sa part qu’il s’agit d’une « bonne mesure ». Ces candidatur­es répondaien­t aux critères de l’ancien programme, aujourd’hui jugé peu efficace », a-t-il indiqué.

Français et valeurs

Au moyen du projet de loi 9, Simon Jolin-Barrette veut aussi en finir avec « le principe général [de la loi actuelle] du “premier arrivé, premier servi” sans tenir compte des besoins du marché du travail ».

L’utilisatio­n du système de déclaratio­n d’intérêt pour toutes les demandes d’immigratio­n de travailleu­rs qualifiés permettra, soutient-il, un meilleur maillage entre les besoins du marché du travail et l’immigratio­n et entraînera aussi une réduction importante du délai de traitement des demandes de trente-six à six mois.

« Il nous permettra d’inviter en priorité les personnes qui ont un profil recherché par les employeurs du Québec à présenter une demande d’immigratio­n », a-t-il dit.

M. Jolin-Barrette compte offrir à chaque nouvel arrivant un « processus d’accompagne­ment personnali­sé » qui offrira, promet-il, un « meilleur accès aux services de francisati­on, d’intégratio­n et d’employabil­ité », « avant » ou « dès » son arrivée au Québec.

En campagne électorale, la Coalition avenir Québec s’était engagée à soumettre les immigrants, trois ans après leur arrivée au Québec, à un test des valeurs et à un test de français dont la réussite constituer­ait une condition d’obtention et de la résidence permanente.

Le projet de loi 9 constitue la « première assise légale» permettant de créer « une évaluation de français, une évaluation de connaissan­ce des valeurs québécoise­s », a mentionné M. JolinBarre­tte jeudi. Mais, pour arriver à « imposer [ses propres] conditions », le gouverneme­nt caquiste a besoin de l’autorisati­on de l’Assemblée nationale, mais également du gouverneme­nt fédéral. Celui-ci devrait effectivem­ent adopter un règlement pour permettre au Québec d’aller de l’avant.

Le gouverneme­nt québécois veut déterminer les « conditions qui affectent la résidence permanente », qui est octroyée par Ottawa aux ressortiss­ants étrangers établis au Québec, et ce, pour assurer « la satisfacti­on des besoins régionaux ou sectoriels de main-d’oeuvre » ou encore l’intégratio­n linguistiq­ue, sociale ou économique du ressortiss­ant étranger.

« On pourrait accorder davantage de points, dans le système de déclaratio­n d’intérêt, si vous avez une offre d’emploi validée en région », a illustré le ministre caquiste, avant de réitérer l’importance pour le Québec d’« exercer ses pleins pouvoirs en matière d’immigratio­n ».

« On va avoir des discussion­s [avec le gouverneme­nt fédéral] », a dit simplement M. Jolin-Barrette à la presse.

À Ottawa, l’équipe du ministre Ahmed Hussein jugeait jeudi qu’il était « trop tôt pour commenter le contenu du projet de loi ».

Le ministre québécois Simon JolinBarre­tte y tient.

« Ce projet de loi est la pierre angulaire de la réforme en profondeur que le gouverneme­nt du Québec entreprend pour réussir l’immigratio­n, tant pour le candidat à l’immigratio­n que pour la société québécoise », a-t-il fait valoir devant la presse jeudi.

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Simon JolinBarre­tte

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