SNCLavalin joue-t-elle son avenir ?
Entre la difficulté d’accès au financement international et les occasions d’affaires qui pourraient s’évaporer, notamment dans les contrats publics, les conséquences potentielles d’un procès criminel sont multiples pour SNC-Lavalin, à qui on refuse toujours le recours au programme de réparation qui lui permettrait d’éviter le passage devant les tribunaux.
SNC-Lavalin a préféré jeudi ne pas commenter les informations du Globe and Mail selon lesquelles le bureau du premier ministre Justin Trudeau aurait fait pression sur l’ex-ministre de la Justice, Jody Wilson-Raybould, pour mettre les procédures de côté. Mais il ne fait aucun doute que le spectre d’un procès pourrait avoir des impacts profonds sur la compagnie, estiment des experts.
Dans le cas d’une entreprise qui a beaucoup changé depuis l’époque des gestes reprochés, l’affaire est complexe, selon Wendy Berman, qui dirige l’équipe de litige des valeurs mobilières chez Cassels Brock, à Toronto. La tenue des procédures signifie que « les parties prenantes d’aujourd’hui vivent les conséquences du comportement d’autres individus qui dirigeaient la compagnie» auparavant. «On parle d’employés, de fournisseurs, d’investisseurs, de prêteurs, d’actionnaires », a-t-elle indiqué au Devoir. Également, un procès pourrait être une source de distraction pour la direction, en plus d’entraîner des coûts importants. « Une condamnation criminelle éliminerait SNC-Lavalin comme entreprise candidate à des contrats et à des financements auprès d’organismes internationaux comme la Banque mondiale», a estimé Yvan Allaire, président exécutif du conseil de l’Institut sur la gouvernance des organisations privées et publiques. «Aussi, certains pays peuvent avoir dans leurs contrats d’achat d’infrastructures des clauses éliminant toute entreprise reconnue coupable. »
Le plus important actionnaire de SNC-Lavalin est la Caisse de dépôt et placement du Québec, qui détient près de 20 % de la multinationale. Son bloc d’actions a augmenté au cours de l’année 2018, selon ce que La Presse a écrit au mois de décembre. Invitée à réagir à l’article du Globe and Mail, l’institution a préféré ne pas faire de commentaire.
Mais les procédures font déjà mal, a indiqué SNC-Lavalin au mois de décembre, quand le premier ministre François Legault évoquait l’importance des sièges sociaux. « Les poursuites judiciaires en cours continuent d’accabler l’entreprise », avait alors écrit SNC-Lavalin dans une déclaration publique. Le personnel de l’entreprise est passé de 20 000 à 8500 depuis l’année 2013. « Nos activités canadiennes ont diminué. Le constat est clair : en refusant à l’entreprise et à ses employés innocents l’occasion de participer au processus de négociation d’un accord de réparation, tel que promulgué par le Parlement canadien cette année, l’intérêt public n’est pas servi. »
« Faute d’une entente, la situation de l’entreprise et sa pérennité seraient assurément mises en cause», affirme Ivan Tchotourian, professeur en droit des sociétés à l’Université Laval. « Le conseil d’administration de SNC va devoir réfléchir à la stratégie à mettre en oeuvre dans les temps à venir. Les conséquences d’une condamnation judiciaire, si elle a lieu, sont lourdes. Ceci explique la volonté de conclure une entente pour pouvoir bénéficier de contrats publics. »
Les accusations de corruption et de fraude qui pèsent sur la multinationale remontent à il y a quatre ans. La Gendarmerie royale du Canada a allégué en février 2015 que SNC-Lavalin et deux de ses entités auraient versé des dizaines de millions pour promouvoir leurs activités en Libye. La période visée s’étirait de 2001 à 2011. La compagnie était en 2015 bien avan- cée dans le ménage de ses activités internes découlant des irrégularités découvertes sous le règne de Pierre Duhaime, son ancien président. Celui-ci a été arrêté en 2012 relativement au scandale du contrat de construction du Centre universitaire de santé McGill (CUSM). Par la suite, la compagnie a resserré considérablement ses mesures en matière d’éthique et de bonne conduite. Par exemple, l’entreprise avait pris soin de recruter l’ancien chef de la conformité de Siemens, Andreas Pohlmann, pour occuper le même poste chez SNC. M. Pohlman arrivait alors avec une réputation en or : celui qui avait fait le ménage au sein de la société allemande.
Dans le cas où une entreprise a fait un ménage et que le conseil d’administration n’était pas dans le coup, estime M. Allaire, le programme de réparation mis sur pied par Ottawa en septembre 2018 comporte un « coût assez élevé », mais ça permet à l’entreprise de « survivre en s’assurant que des circonstances comme celles-là ne se reproduisent pas ».
Faute d’une entente, la situation de l’entreprise et sa pérennité seraient assurément » mises en cause IVAN TCHOTOURIAN
Quand Ottawa a présenté le programme des « accords et arrêtés de réparation pour remédier au crime d’entreprise », en septembre dernier, il a précisé qu’une entente «volontaire» entre la société et les procureurs devait être approuvée par un juge. Celui-ci aurait alors à se pencher sur l’intérêt public de l’affaire et sur des modalités « justes, raisonnables et proportionnées ».
Un bon programme
« Ce programme-là est bien avisé », dit Yvan Allaire, car la condamnation d’une entreprise a des conséquences pour des gens qui ne sont pas impliqués. « Puisqu’on ne peut la mettre en prison [l’entreprise], elle devient bannie, ou en tout cas elle n’a plus accès à un certain nombre d’organismes internationaux de financement, et probablement à certains acheteurs aussi. C’est très dommageable pour des gens qui sont relativement innocents », a dit Yvan Allaire.
À la Bourse de Toronto, l’action de SNC a reculé jeudi de 1,7 % à 36,91 $.