LES GRANDS MOYENS.
Le ministre de l’Immigration, de la Diversité et de l’Inclusion, Simon Jolin-Barrette, a présenté le projet de loi no 9 qui établit le cadre légal d’une réforme majeure du système québécois d’immigration. Une telle réforme est nécessaire pour mettre fin au laxisme qui a caractérisé le règne libéral en matière de francisation, d’intégration et de pénurie de main-d’oeuvre. Mais soucieux de procéder rapidement, le gouvernement Legault annule cavalièrement les 18 000 dossiers en attente qui touchent plus de 45 000 personnes.
Les candidats se verront rembourser les frais engagés pour constituer leur dossier, soit environ 1000 $ chacun, ou 19 millions. C’est bien la moindre des choses. Or, il y a moins de dix jours, François Legault donnait l’assurance que ces dossiers accumulés seraient « traités selon les anciennes règles ».
Il faut croire que le premier ministre parlait à travers son chapeau. D’une part, à la cadence avec laquelle les dossiers sont traités par les fonctionnaires du MIDI, il aurait fallu trois ans pour en venir à bout. D’autre part, les dossiers les plus anciens, mais non pas ceux qui correspondent le mieux aux besoins actuels en main-d’oeuvre, auraient dû être acceptés en priorité. Enfin, avec une limite à 24 000 du nombre d’immigrants admis en 2019 dans la catégorie visée, soit celle des travailleurs qualifiés — c’est 7000 de moins que l’année précédente —, le Québec ne pouvait tout simplement pas accueillir tout ce monde. C’est d’autant plus vrai que la moitié des immigrants qui seront admis cette année sont déjà au Québec, occupent des emplois et viendront du Programme d’expérience québécoise (PEQ). Bref, sans l’élimination des dossiers, il aurait été impossible, avant plusieurs années, de remplacer notre système d’immigration déficient par une procédure de déclarations d’intérêt sans liste d’attente, une réforme aussi essentielle que pressante, préparée, d’ailleurs, par le gouvernement libéral.
Il n’en demeure pas moins que la brutale annulation des dossiers contrevient à l’équité dont l’administration publique québécoise doit faire preuve. Déjà des avocats spécialisés en immigration fourbissent leurs armes en vue d’une contestation.
En outre, il y a sans doute dans cet inventaire des candidatures très valables que le ministre doit identifier et auxquelles il a le devoir d’accorder la priorité en vertu des nouvelles règles. Par ailleurs, le projet de loi no 9 répond aux constats accablants que la vérificatrice générale, Guylaine Leclerc, avait faits, en 2017, sur le dysfonctionnement du programme de francisation administré par le MIDI et les lacunes en matière d’intégration des immigrants. Ainsi, les nouveaux arrivants auront droit à de nouveaux programmes d’accueil et à des parcours personnalisés. Pour la première fois, le MIDI assurera un suivi de leur apprentissage du français et de leur intégration au marché du travail.
Enfin, Simon Jolin-Barrette a sorti de son chapeau un article de la Loi de l’immigration de 1993, abrogé par le gouvernement Couillard, qui lui permet d’imposer des conditions affectant le statut de résident permanent octroyé par le gouvernement fédéral. Dès son arrivée, l’immigrant obtient son certificat de sélection du Québec qui donne droit au statut de résident permanent, comme le prévoit la procédure actuelle. Mais, en vertu de cet article, le ministre peut lui imposer des obligations qui, si elles ne sont pas respectées, peuvent entraîner la perte de ce statut, c’està-dire sa caducité — le ministre a employé le terme juridique de « résolution » du statut.
Évidemment, pour obtenir le droit d’imposer des conditions aux immigrants — apprentissage du français, connaissance de la Charte québécoise des droits et libertés, obligation de s’installer dans une région donnée —, le gouvernement Legault a besoin de l’aval d’Ottawa. Mais il ne s’agit plus d’une modification à la loi fédérale mais seulement d’un changement réglementaire, a expliqué le ministre.
À l’heure actuelle, les nouveaux arrivants manquent de soutien mais font ce qu’ils veulent. Or le gouvernement Legault veut favoriser leur francisation et leur intégration en emploi ainsi que pallier les pénuries de maind’oeuvre en région. Mais cela passe par un encadrement contraignant et inédit des nouveaux arrivants.
Le gouvernement fédéral comprend que le Québec est une société distincte, a avancé Simon Jolin-Barrette, non sans manifester un candide optimisme. Il est donc légitime que son État obtienne des pouvoirs qui s’inscrivent dans le prolongement de ses responsabilités de sélection des immigrants. La balle est maintenant dans le camp du gouvernement Trudeau, qui doit répondre favorablement aux revendications du Québec.