Le Devoir

LES GRANDS MOYENS.

- L’ÉDITORIAL DE ROBERT DUTRISAC.

Le ministre de l’Immigratio­n, de la Diversité et de l’Inclusion, Simon Jolin-Barrette, a présenté le projet de loi no 9 qui établit le cadre légal d’une réforme majeure du système québécois d’immigratio­n. Une telle réforme est nécessaire pour mettre fin au laxisme qui a caractéris­é le règne libéral en matière de francisati­on, d’intégratio­n et de pénurie de main-d’oeuvre. Mais soucieux de procéder rapidement, le gouverneme­nt Legault annule cavalièrem­ent les 18 000 dossiers en attente qui touchent plus de 45 000 personnes.

Les candidats se verront rembourser les frais engagés pour constituer leur dossier, soit environ 1000 $ chacun, ou 19 millions. C’est bien la moindre des choses. Or, il y a moins de dix jours, François Legault donnait l’assurance que ces dossiers accumulés seraient « traités selon les anciennes règles ».

Il faut croire que le premier ministre parlait à travers son chapeau. D’une part, à la cadence avec laquelle les dossiers sont traités par les fonctionna­ires du MIDI, il aurait fallu trois ans pour en venir à bout. D’autre part, les dossiers les plus anciens, mais non pas ceux qui correspond­ent le mieux aux besoins actuels en main-d’oeuvre, auraient dû être acceptés en priorité. Enfin, avec une limite à 24 000 du nombre d’immigrants admis en 2019 dans la catégorie visée, soit celle des travailleu­rs qualifiés — c’est 7000 de moins que l’année précédente —, le Québec ne pouvait tout simplement pas accueillir tout ce monde. C’est d’autant plus vrai que la moitié des immigrants qui seront admis cette année sont déjà au Québec, occupent des emplois et viendront du Programme d’expérience québécoise (PEQ). Bref, sans l’éliminatio­n des dossiers, il aurait été impossible, avant plusieurs années, de remplacer notre système d’immigratio­n déficient par une procédure de déclaratio­ns d’intérêt sans liste d’attente, une réforme aussi essentiell­e que pressante, préparée, d’ailleurs, par le gouverneme­nt libéral.

Il n’en demeure pas moins que la brutale annulation des dossiers contrevien­t à l’équité dont l’administra­tion publique québécoise doit faire preuve. Déjà des avocats spécialisé­s en immigratio­n fourbissen­t leurs armes en vue d’une contestati­on.

En outre, il y a sans doute dans cet inventaire des candidatur­es très valables que le ministre doit identifier et auxquelles il a le devoir d’accorder la priorité en vertu des nouvelles règles. Par ailleurs, le projet de loi no 9 répond aux constats accablants que la vérificatr­ice générale, Guylaine Leclerc, avait faits, en 2017, sur le dysfonctio­nnement du programme de francisati­on administré par le MIDI et les lacunes en matière d’intégratio­n des immigrants. Ainsi, les nouveaux arrivants auront droit à de nouveaux programmes d’accueil et à des parcours personnali­sés. Pour la première fois, le MIDI assurera un suivi de leur apprentiss­age du français et de leur intégratio­n au marché du travail.

Enfin, Simon Jolin-Barrette a sorti de son chapeau un article de la Loi de l’immigratio­n de 1993, abrogé par le gouverneme­nt Couillard, qui lui permet d’imposer des conditions affectant le statut de résident permanent octroyé par le gouverneme­nt fédéral. Dès son arrivée, l’immigrant obtient son certificat de sélection du Québec qui donne droit au statut de résident permanent, comme le prévoit la procédure actuelle. Mais, en vertu de cet article, le ministre peut lui imposer des obligation­s qui, si elles ne sont pas respectées, peuvent entraîner la perte de ce statut, c’està-dire sa caducité — le ministre a employé le terme juridique de « résolution » du statut.

Évidemment, pour obtenir le droit d’imposer des conditions aux immigrants — apprentiss­age du français, connaissan­ce de la Charte québécoise des droits et libertés, obligation de s’installer dans une région donnée —, le gouverneme­nt Legault a besoin de l’aval d’Ottawa. Mais il ne s’agit plus d’une modificati­on à la loi fédérale mais seulement d’un changement réglementa­ire, a expliqué le ministre.

À l’heure actuelle, les nouveaux arrivants manquent de soutien mais font ce qu’ils veulent. Or le gouverneme­nt Legault veut favoriser leur francisati­on et leur intégratio­n en emploi ainsi que pallier les pénuries de maind’oeuvre en région. Mais cela passe par un encadremen­t contraigna­nt et inédit des nouveaux arrivants.

Le gouverneme­nt fédéral comprend que le Québec est une société distincte, a avancé Simon Jolin-Barrette, non sans manifester un candide optimisme. Il est donc légitime que son État obtienne des pouvoirs qui s’inscrivent dans le prolongeme­nt de ses responsabi­lités de sélection des immigrants. La balle est maintenant dans le camp du gouverneme­nt Trudeau, qui doit répondre favorablem­ent aux revendicat­ions du Québec.

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