Le Devoir

TRUDEAU NIE AVOIR USÉ D’INFLUENCE.

Le premier ministre aurait voulu que SNC-Lavalin profite d’un « accord de poursuite suspendue »

- MARIE VASTEL CORRESPOND­ANTE PARLEMENTA­IRE À OTTAWA Avec Hélène Buzzetti

Justin Trudeau nie catégoriqu­ement être intervenu pour convaincre son ancienne ministre de la Justice d’aider SNC-Lavalin, qui est accusée de fraude et de corruption. Mais malgré les démentis répétés du premier ministre et de ses troupes, l’opposition n’en croit pas un mot.

«Les allégation­s dans l’article du

Globe and Mail ce matin sont fausses », a martelé Justin Trudeau jeudi matin, quelques heures après que la manchette du quotidien torontois a secoué la bulle politique fédérale. « Ni moi ni mon bureau n’avons demandé au procureur général actuel ou antérieur de prendre quelque décision que ce soit dans cet enjeu », a-t-il déclaré en point de presse en banlieue de Toronto.

Invité à préciser si son bureau avait tenté d’exercer une quelconque influence sur sa ministre — et non pas uniquement ordonné d’intervenir, comme M. Trudeau l’avait stipulé dans sa réponse —, le premier ministre s’est contenté de réitérer mot pour mot sa première réplique.

L’opposition a repris la balle au bond aux Communes et demandé au gouverneme­nt libéral à maintes reprises si le cas de SNC-Lavalin avait été discuté de façon plus générale, sans qu’une consigne officielle ait été décrétée.

« Est-ce que quiconque au bureau du premier ministre, à quelque moment que ce soit, a communiqué avec quiconque au bureau de l’ancienne procureure générale au sujet de la poursuite criminelle contre SNC-Lavalin ? Oui ou non ? » a demandé le chef conservate­ur Andrew Scheer. « Je n’ai pas assisté à ces conversati­ons », a répondu le nouveau ministre de la Justice, David Lametti, en répétant à son tour que « les allégation­s sont fausses ». Il a en outre martelé n’avoir «ni subi des pressions ni reçu des directives de la part du premier ministre ou de son cabinet en ce qui a trait à la prise de décision dans ce dossier ou tout autre ». Sa prédecesse­ure, Jody Wilson-Raybould, quant à elle, est restée assise aux Communes et n’a pas répondu aux questions de l’opposition.

Ingérence ?

Le Globe and Mail écrivait jeudi que le bureau du premier ministre aurait fait pression pour que Jody Wilson-Raybould intervienn­e dans la poursuite qui pèse contre SNC-Lavalin. La firme d’ingénierie de Montréal a été accusée en 2015 de fraude et de corruption en Libye.

Selon le quotidien torontois, l’entourage de M. Trudeau aurait insisté auprès de sa ministre pour qu’elle tente de convaincre le Service des poursuites pénales du Canada de conclure un « accord de poursuite suspendue » (APS) avec SNC-Lavalin. Ces ententes permettent de suspendre les poursuites pénales contre des sociétés, en échange de quoi celles-ci reconnaiss­ent les faits qui leur sont reprochés, paient une pénalité financière et coopèrent avec les autorités.

Les procureurs fédéraux avaient rejeté une telle demande de la compagnie l’automne dernier, ce que SNCLavalin avait dénoncé en décembre. La ministre Wilson-Raybould aurait refusé la demande du bureau du premier ministre d’intervenir. Elle a été mutée au ministère des Anciens Combattant­s à la mi-janvier, et remplacée par le Montréalai­s David Lametti.

Le bureau de la ministre Wilson-Raybould a refusé de commenter la nouvelle jeudi. Idem chez SNC-Lavalin.

Dans une lettre publiée à la suite du remaniemen­t ministérie­l, Jody Wilson-Raybould avait défendu son bilan à la Justice et argué qu’il était fondamenta­l pour la démocratie « que notre système de justice ne soit pas perçu comme étant soumis à une ingérence politique ». « Il a donc toujours été clair pour moi que le procureur général du Canada doit être non partisan, plus transparen­t quant aux principes qui régissent la prise de décision et, en ce sens, toujours être prêt à parler vrai aux personnes en position de pouvoir. »

Les partis d’opposition ont accusé les libéraux de mentir en niant les allégation­s. La preuve, ont-ils argué, c’est que Justin Trudeau a répété sans relâche la même phrase, «qui semble clairement avoir été rédigée par des avocats », selon Andrew Scheer.

Le néodémocra­te Alexandre Boulerice a accusé les libéraux de « défendre des capitalist­es véreux, crosseurs puis corrompus ». Le bloquiste Rhéal Fortin estime que la lettre de la ministre en janvier démontre que le Globe and Mail dit vrai. « Si c’est ça qui est arrivé, ça n’a aucun maudit bon sens. C’est intolérabl­e. » Tous réclament des explicatio­ns.

 ?? NATHAN DENETTE LA PRESSE CANADIENNE ?? Le premier ministre Justin Trudeau était en tournée dans la banlieue de Toronto, jeudi, quand il a été appelé à commenter les révélation­s du quotidien Globe and Mail.
NATHAN DENETTE LA PRESSE CANADIENNE Le premier ministre Justin Trudeau était en tournée dans la banlieue de Toronto, jeudi, quand il a été appelé à commenter les révélation­s du quotidien Globe and Mail.

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