Le Devoir

L’avenir du patrimoine bâti

- Louise Mercier Impliquée dans l’action patrimonia­le de nombreux organismes depuis 1979, propriétai­re d’un bien classé Deschambau­lt

Ces temps-ci, plusieurs médias font écho à la grande cacophonie qui règne dans la gestion du patrimoine au Québec. La frilosité et la mollesse des Québécois quant à leur patrimoine sont fortement mises en lumière. Le laxisme de l’État également. S’agit-il d’une subite prise de conscience ? D’un sursaut salutaire avant qu’il soit trop tard ?

Même s’il nous faut reconnaîtr­e une grande paresse culturelle chez de nombreux Québécois, citoyens ou élus, on doit aussi constater que tout est à portée de main pour protéger le patrimoine dont nous avons hérité. Suffit de le vouloir.

Manque de connaissan­ces ?

Combien savent qu’il existe un magazine, fondé en 1982, qui publie quatre fois l’an des dossiers fouillés sur le patrimoine québécois ? Que si on se donne la peine de lire Continuité, on comprend que le patrimoine ne se résume pas à quelques biens exceptionn­els, mais qu’il englobe une grande partie de ce que nos ancêtres ont construit pour s’établir dans ce dur pays. Et que cela forme une grande partie de notre territoire et de notre identité.

Combien savent qu’une table de concertati­on en patrimoine bâti existe depuis 2014 ? Que tous les organismes nationaux s’y retrouvent pour discuter stratégie et problèmes de fond concernant la sauvegarde et la mise en valeur du patrimoine bâti au Québec? Qui écoute véritablem­ent ces acteurs de longue date ? Ils connaissen­t pourtant tout ce qui fonctionne et ne fonctionne pas depuis au moins quatre décennies. Ils sont des antennes précieuses partout sur le territoire. Ils sonnent l’alerte et réfléchiss­ent aux solutions à apporter. À l’exception d’Action patrimoine, devenu organisme de regroupeme­nt, ces organismes nationaux ont pourtant tous vu leur subvention de fonctionne­ment sabrée par le ministère de la Culture et des Communicat­ions et ne travaillen­t dorénavant que grâce à la force du bénévolat de leurs membres.

Combien savent que, depuis 1987, de nombreuses tentatives du ministère de la Culture et des Communicat­ions (MCC) pour rédiger et mettre en place une politique du patrimoine ont échoué, laissant tout le milieu des intervenan­ts en patrimoine dans un désert quant au rôle que chacun devrait jouer? Si une telle politique existait, tous les acteurs du patrimoine connaîtrai­ent leurs responsabi­lités, qu’ils relèvent du gouverneme­nt provincial, municipal, qu’ils appartienn­ent à un groupe de citoyens ou qu’ils soient simplement propriétai­res de biens patrimonia­ux. On ne pourrait plus se relancer la balle constammen­t comme on le fait actuelleme­nt.

Aussi, logiquemen­t, lorsqu’une loi est adoptée, il en découle une politique, un plan d’action, des règlements, des mesures de soutien, des chantiers… Rien de tout cela depuis 2012, alors qu’était adoptée la Loi sur le patrimoine culturel du Québec.

Quant à la Politique culturelle québécoise, avec laquelle ont jonglé trois ministres qui avaient la responsabi­lité de mettre à jour celle de 1992, son adoption en 2018 a produit peu d’effets, surtout pas en patrimoine.

Comment intervenir ?

Quoi faire? Dresser la liste des bâtiments menacés? Refaire des inventaire­s de biens patrimonia­ux ? Ce n’est pas ce qu’il faut. Demandez à la Table de concertati­on de répertorie­r ce qui est en péril, toute cette connaissan­ce existe déjà. Ce qu’il faut maintenant, c’est passer à l’action, village après village, ville après ville. Par des petits gestes, parfois des grands, en faveur de notre héritage. Sans honte. Sans s’excuser. En étant fiers de notre façon d’habiter ce territoire unique. Si la tâche est trop lourde pour certains, il faut leur offrir le soutien nécessaire. Certains villages ont hérité d’un patrimoine bâti dont l’importance dépasse largement la capacité des citoyens, trop peu nombreux, d’en prendre soin. Mais on serait surpris de l’effet d’entraîneme­nt que peut avoir la réalisatio­n de projets de protection du patrimoine dans un milieu. Étonnés aussi de la fierté ressentie par les gens qui y habitent.

Partager la connaissan­ce qui existe bel et bien sur le terrain. Former partout des comités consultati­fs en urbanisme compétents en patrimoine. Donner aux élus des formations spécifique­s en patrimoine, les accompagne­r dans leurs décisions. Arrêter de dire que le patrimoine coûte trop cher. Ce qui coûte cher, c’est la perte, le laxisme qui laisse les biens se détériorer presque au point de non-retour. Plusieurs jeunes profession­nels, très bien formés, ne demandent que ça, jouer leur rôle et soutenir une action visionnair­e et efficace.

Il faut convenir que, quand le gouverneme­nt investit dans la protection du patrimoine, il récupère son investisse­ment en taxes sur les matériaux, en impôt perçu auprès des ressources humaines à l’ouvrage, en dynamisme des milieux qui autrement se dévitalise­nt, en augmentati­on de la valeur foncière… Non, les propriétai­res d’immeubles anciens n’ont pas tous les moyens d’entretenir leur bien patrimonia­l. Oui, l’État doit aider ces propriétai­res. Leur bien va leur survivre et une aide de l’État ne va pas les enrichir au détriment des autres citoyens.

Faisons plutôt parler ceux qui agissent de façon pratique dans leur milieu. Mettons en lumière les véritables succès, là où le patrimoine est au coeur de l’action. Donnons une voix à ceux qui croient qu’avec une vision et une volonté on peut avoir un impact dans la préservati­on du patrimoine. Que le projet patrimonia­l et culturel devienne un levier plutôt qu’une entrave, c’est mon souhait.

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JACQUES NADEAU LE DEVOIR Tout est à portée de main pour protéger le patrimoine dont nous avons hérité. Suffit de le vouloir.

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