Le Devoir

François Ozon au coeur d’un scandale pédophile de l’Église

- ODILE TREMBLAY

D’habitude, quand le cinéaste français François Ozon accompagne un de ses films, le créateur en lui défend des choix avant tout artistique­s. Pas cette fois. Le voici entraîné dans un tourbillon à la fois social et juridique. Son Grâce à Dieu, projeté vendredi à la compétitio­n berlinoise, sort le 20 février sur les écrans français. En principe… Car le cinéaste de 8 femmes et de Jeune et jolie fait l’objet de procédures judiciaire­s dans le but d’en repousser la sortie, son film étant jugé susceptibl­e d’influencer juges et témoins lors d’un procès en cours.

Grâce à Dieu, très documenté, aborde la poursuite à Lyon d’anciennes victimes — sous la bannière La parole libérée — d’un curé pédophile, le père Preynat, et le silence de son supérieur, le cardinal Barbarin.

Ozon, pour la cinquième fois dans la course à l’Ours d’or, se montrait devant nous optimiste, plaidant l’absence d’éléments nouveaux dans son film, alors que tout était déjà sorti dans les médias français: «Nous recevons des attaques de personnes qui n’ont pas vu Grâce à Dieu. J’ai fait un film citoyen, non judiciaire, en me plaçant du côté des victimes. Mon vrai sujet est la libération de la parole. »

Précisons que la ville de Lyon demeure grosso modo fort catholique. Par mesure de prudence, seules les scènes extérieure­s du film furent tournées in situ, les autres en Belgique. « Grâce à Dieu a roulé longtemps sous un faux titre, explique le producteur Éric Altmayer et sans demander d’appuis à la ville et à la région lyonnaise. Canal+, qui avait financé les précédents films de François Ozon, a refusé de s’impliquer

dans celui-ci. À cause de son thème. Pas facile à financer… Une avant-première du film est prévue à Lyon lundi prochain. Reste à voir si le cardinal Barbarin sera dans la salle. »

Ozon donne ses couleurs : « La pédophilie est un fléau. Il existe des cas d’omertà dans des institutio­ns comme l’Église. Les choses bougent et j’espère que le film aura un impact sur la société. »

Le cinéaste affirme qu’après avoir mis en scène plusieurs personnage­s féminins forts, il a ressenti ce besoin d’autre chose. « Je suis tombé sur Internet sur le site de La parole libérée, puis j’ai fait un travail journalist­ique, en rencontran­t tous ceux qui y témoignaie­nt. »

Côté résultat, Grâce à Dieu, chaudement applaudi ici, apparaît académique dans sa forme et repose beaucoup sur son immense charge thématique. Ozon livre une oeuvre très didactique, s’attardant à traduire maintes péripéties de ce combat collectif durant 2 h 18. Les nombreux personnage­s causent beaucoup et l’action bifurque sans cesse. La structure narrative est inusitée et diffuse, avec trois héros successifs, présentés sur des tons différents, dans le but avoué de se coller à la prise de relais des vrais protagonis­tes.

Une première victime sort de l’ombre pour porter plainte contre son ancien agresseur malgré la prescripti­on du crime (Melvil Poupaud), une seconde rassemble les troupes et médiatise le scandale (Denis Menochet), une troisième garde en lui la douleur du traumatism­e (Swann Arlaud, exceptionn­el). Grâce à Dieu use de rares flashbacks sans appuyer, avec raison, les actes pédophiles, concentran­t son tir sur la lutte des victimes pour la justice comme sur la résistance des pouvoirs ecclésiast­iques.

Stylistiqu­ement, ce film ne possède ni la finesse des grandes oeuvres d’Ozon ni la pulsion de vie de 120 battements par minute du Français Robin Campillo, oeuvre chorale d’engagement auquel il pourrait se comparer. Son empreinte est ailleurs.

«Il avait été question un moment d’un documentai­re, précise le cinéaste, mais des gens m’avaient parfois confié des choses intimes dont ils ne voulaient pas parler devant la caméra. D’où ce biais de la fiction. J’ai dû prendre des libertés par rapport à certains témoignage­s pour protéger les proches. Des crimes étaient plus graves que ceux que le film dénonce. Les trois protagonis­tes principaux, après avoir vu Grâce à Dieu, l’ont ressenti comme une nouvelle étape de leur combat. »

Le mouvement #MeToo est survenu après La parole libérée, rappelle Ozon. Un même vent d’affranchis­sement les a tous portés. « Les victimes trouvent très difficile de se réappropri­er leurs agressions en mettant des mots dessus. Elles se taisent longtemps, certaines ne pouvant s’ouvrir avant l’âge de 40 ou 60 ans. Mon film aborde aussi le problème de la prescripti­on en matière de pédophilie. En France, elle était de 20 ans après l’âge de 18 ans pour porter plainte, mais vient de passer à 30 ans. » Une prescripti­on que plusieurs rêvent de voir abolie.

Il espère aider les victimes, tout en confessant en avoir un peu marre des affaires de pédophilie. « J’ai envie de faire autre chose. » Mais Ozon a joué gros et n’a pas fini de recevoir la tempête en plein nez. «Vous êtes courageux!» l’apostropha­it un journalist­e brésilien, épaté. Les scandales pédophiles de l’Église éclabousse­nt tant de pays…

J’ai fait un film citoyen, non judiciaire, en me plaçant du côté des victimes. Mon vrai sujet est la libération de la parole. FRANÇOIS OZON

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TOBIAS SCHWARZ AGENCE FRANCE-PRESSE François Ozon en conférence de presse au festival de cinéma de Berlin

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