Le bitcoin atteindra-t-il le grand public ?
L’affaire Quadriga ravive le débat sur l’avenir des monnaies virtuelles
L’histoire abracadabrante de la plateforme Quadriga et des 250 millions de dollars qui sont dans les limbes depuis la mort de son fondateur a braqué cette semaine les projecteurs sur l’univers encore méconnu des cryptomonnaies. Pour l’instant utilisées par des convertis à leurs risques et périls, les monnaies virtuelles, le bitcoin en tête, seront-elles un jour adoptées par le grand public ? Possible, mais reste à voir sous quelle forme.
L’affaire Quadriga a fait rager plusieurs adeptes de cryptomonnaies au cours des derniers jours, et pas seulement ceux qui pourraient perdre gros. Les investisseurs qui croient en l’avenir des monnaies virtuelles craignent que les déboires de la plateforme d’échange, qu’ils attribuent à de mauvaises pratiques, aient pour effet d’entacher la réputation de tout le secteur.
À leur avis, le bitcoin, la plus populaire des cryptomonnaies, a toujours un bel avenir devant lui. Depuis sa création il y a un peu plus de dix ans, cette monnaie virtuelle a démontré qu’elle peut convenir à différents usages, soutient Jonathan Hamel, le fondateur de l’Académie Bitcoin, une firme qui accompagne les organisations qui veulent se familiariser avec cette cryptomonnaie.
Comme l’or ?
Le bitcoin est notamment perçu par ses adeptes comme une valeur refuge, au même titre que l’or. La comparaison tient au fait que le bitcoin, comme l’or, est une ressource limitée — un maximum de 21 millions de bitcoins seront sur le marché en 2040 — et que son cours est influencé par l’offre et la demande. « Il y a probablement un marché énorme pour des investisseurs qui voudraient préserver de la valeur », dit M. Hamel.
Il est vrai que le bitcoin est actuellement très volatil, mais ce n’est qu’une question de temps avant que sa valeur ne se stabilise, estime Quentin Kayila, un analyste informatique de Québec qui suit de près l’évolution des cryptomonnaies.
« On a vu de la volatilité dans le marché immobilier, dans l’or, dans les devises. La volatilité n’est donc pas un problème en soi », juge-t-il.
L’économiste principal de Desjardins Hendrix Vachon écrivait cependant dans une note publiée en juillet dernier que la forte volatilité des cryptomonnaies fait en sorte qu’on ne peut les considérer comme des réserves de valeur et que la comparaison avec l’or a ses limites puisqu’« il n’y a pas de demande pour utiliser les cryptomonnaies dans des processus de fabrication, comme c’est le cas pour n’importe quelle ressource ».
Faciliter les transferts
La démocratisation du bitcoin pourrait aussi passer par son usage au quotidien, évoque M. Hamel. « L’utilisation du bitcoin comme instrument transactionnel, c’était très difficile à défendre jusqu’à tout récemment en raison des délais avant que la transaction soit confirmée […] mais on voit des développements technologiques qui vont le permettre », dit-il.
L’émergence de ce qu’on appelle le réseau Lightning laisse entrevoir la possibilité d’effectuer des transactions instantanées à très faibles coûts. Le bitcoin pourrait ainsi devenir une option intéressante pour les commerçants qui doivent pour l’instant assumer des frais de transaction élevés, avance-t-il.
Dans l’immédiat, la monnaie virtuelle présente surtout des avantages pour les transferts internationaux, fait remarquer M. Kayila. Un envoi qui peut coûter des centaines de dollars et prendre une semaine s’il est fait par l’entremise d’une banque peut être effectué pour un dollar en l’espace de 30 minutes, illustre-t-il.
Cette différence tient au fait que la chaîne de blocs, la technologie grâce à laquelle s’échangent des cryptomonnaies, est un système décentralisé qui permet de transmettre des informations entre utilisateurs de manière sécurisée, sans passer par un intermédiaire.
Ajustements à apporter
L’intérêt des investisseurs pour les cryptomonnaies grandit, mais leur faible encadrement au Canada limite grandement leur démocratisation. Comme le rappelle l’Autorité des marchés financiers (AMF), ceux qui investissent dans les monnaies virtuelles le font « à leurs risques, sans aucun encadrement et sans aucun recours en cas de problème », puisqu’elles ne sont pas sou- mises à la Loi sur les valeurs mobilières.
« La technologie de la chaîne de blocs et les cryptomonnaies apportent beaucoup d’efficacité dans le domaine transactionnel, donc c’est là pour de bon, mais ça va évoluer, prédit Louis Roy, associé en certification et leader en technologie de la chaîne de blocs chez Raymond Chabot Grant Thornton (RCGT). Comme pour n’importe quelle technologie qui émerge, il y a de l’abus et un manque de contrôle, mais il va y avoir des ajustements dans le temps. »
« Il faut que les gouvernements encadrent les cryptomonnaies et la technologie de la chaîne de blocs pour rassurer les institutions qui ont besoin de garanties pour agir», estime Quentin Kayila.
Technologie prometteuse
Si les institutions financières mettent les investisseurs en garde contre les risques que représentent les cryptomonnaies, elles s’intéressent malgré tout à la technologie sous-jacente de la chaîne de blocs, jugée prometteuse.
« Ce qu’on va voir, à moyen terme, ce sont des cryptomonnaies soutenues par une devise nationale. Par exemple, la Banque du Canada pourrait émettre des jetons de dollars canadiens, affirme Louis Roy. Les cryptomonnaies pourraient s’appuyer sur quelque chose qui a de la valeur. »
« Le réseau bitcoin et ceux d’autres cryptomonnaies constituent une sorte d’expérience de laboratoire ayant permis de tester une nouvelle technologie, soulignait l’économiste Hendrix Vachon l’été dernier. La prochaine étape pourrait bien être une utilisation à grande échelle des registres distribués [comme la chaîne de blocs] dans nos transactions courantes. »
On a vu de la volatilité dans le marché immobilier, dans l’or, dans les devises. La volatilité n’est donc pas un problème en soi. QUENTIN KAYILA