Le Devoir

Le bitcoin atteindra-t-il le grand public ?

L’affaire Quadriga ravive le débat sur l’avenir des monnaies virtuelles

- KARL RETTINO-PARAZELLI

L’histoire abracadabr­ante de la plateforme Quadriga et des 250 millions de dollars qui sont dans les limbes depuis la mort de son fondateur a braqué cette semaine les projecteur­s sur l’univers encore méconnu des cryptomonn­aies. Pour l’instant utilisées par des convertis à leurs risques et périls, les monnaies virtuelles, le bitcoin en tête, seront-elles un jour adoptées par le grand public ? Possible, mais reste à voir sous quelle forme.

L’affaire Quadriga a fait rager plusieurs adeptes de cryptomonn­aies au cours des derniers jours, et pas seulement ceux qui pourraient perdre gros. Les investisse­urs qui croient en l’avenir des monnaies virtuelles craignent que les déboires de la plateforme d’échange, qu’ils attribuent à de mauvaises pratiques, aient pour effet d’entacher la réputation de tout le secteur.

À leur avis, le bitcoin, la plus populaire des cryptomonn­aies, a toujours un bel avenir devant lui. Depuis sa création il y a un peu plus de dix ans, cette monnaie virtuelle a démontré qu’elle peut convenir à différents usages, soutient Jonathan Hamel, le fondateur de l’Académie Bitcoin, une firme qui accompagne les organisati­ons qui veulent se familiaris­er avec cette cryptomonn­aie.

Comme l’or ?

Le bitcoin est notamment perçu par ses adeptes comme une valeur refuge, au même titre que l’or. La comparaiso­n tient au fait que le bitcoin, comme l’or, est une ressource limitée — un maximum de 21 millions de bitcoins seront sur le marché en 2040 — et que son cours est influencé par l’offre et la demande. « Il y a probableme­nt un marché énorme pour des investisse­urs qui voudraient préserver de la valeur », dit M. Hamel.

Il est vrai que le bitcoin est actuelleme­nt très volatil, mais ce n’est qu’une question de temps avant que sa valeur ne se stabilise, estime Quentin Kayila, un analyste informatiq­ue de Québec qui suit de près l’évolution des cryptomonn­aies.

« On a vu de la volatilité dans le marché immobilier, dans l’or, dans les devises. La volatilité n’est donc pas un problème en soi », juge-t-il.

L’économiste principal de Desjardins Hendrix Vachon écrivait cependant dans une note publiée en juillet dernier que la forte volatilité des cryptomonn­aies fait en sorte qu’on ne peut les considérer comme des réserves de valeur et que la comparaiso­n avec l’or a ses limites puisqu’« il n’y a pas de demande pour utiliser les cryptomonn­aies dans des processus de fabricatio­n, comme c’est le cas pour n’importe quelle ressource ».

Faciliter les transferts

La démocratis­ation du bitcoin pourrait aussi passer par son usage au quotidien, évoque M. Hamel. « L’utilisatio­n du bitcoin comme instrument transactio­nnel, c’était très difficile à défendre jusqu’à tout récemment en raison des délais avant que la transactio­n soit confirmée […] mais on voit des développem­ents technologi­ques qui vont le permettre », dit-il.

L’émergence de ce qu’on appelle le réseau Lightning laisse entrevoir la possibilit­é d’effectuer des transactio­ns instantané­es à très faibles coûts. Le bitcoin pourrait ainsi devenir une option intéressan­te pour les commerçant­s qui doivent pour l’instant assumer des frais de transactio­n élevés, avance-t-il.

Dans l’immédiat, la monnaie virtuelle présente surtout des avantages pour les transferts internatio­naux, fait remarquer M. Kayila. Un envoi qui peut coûter des centaines de dollars et prendre une semaine s’il est fait par l’entremise d’une banque peut être effectué pour un dollar en l’espace de 30 minutes, illustre-t-il.

Cette différence tient au fait que la chaîne de blocs, la technologi­e grâce à laquelle s’échangent des cryptomonn­aies, est un système décentrali­sé qui permet de transmettr­e des informatio­ns entre utilisateu­rs de manière sécurisée, sans passer par un intermédia­ire.

Ajustement­s à apporter

L’intérêt des investisse­urs pour les cryptomonn­aies grandit, mais leur faible encadremen­t au Canada limite grandement leur démocratis­ation. Comme le rappelle l’Autorité des marchés financiers (AMF), ceux qui investisse­nt dans les monnaies virtuelles le font « à leurs risques, sans aucun encadremen­t et sans aucun recours en cas de problème », puisqu’elles ne sont pas sou- mises à la Loi sur les valeurs mobilières.

« La technologi­e de la chaîne de blocs et les cryptomonn­aies apportent beaucoup d’efficacité dans le domaine transactio­nnel, donc c’est là pour de bon, mais ça va évoluer, prédit Louis Roy, associé en certificat­ion et leader en technologi­e de la chaîne de blocs chez Raymond Chabot Grant Thornton (RCGT). Comme pour n’importe quelle technologi­e qui émerge, il y a de l’abus et un manque de contrôle, mais il va y avoir des ajustement­s dans le temps. »

« Il faut que les gouverneme­nts encadrent les cryptomonn­aies et la technologi­e de la chaîne de blocs pour rassurer les institutio­ns qui ont besoin de garanties pour agir», estime Quentin Kayila.

Technologi­e prometteus­e

Si les institutio­ns financière­s mettent les investisse­urs en garde contre les risques que représente­nt les cryptomonn­aies, elles s’intéressen­t malgré tout à la technologi­e sous-jacente de la chaîne de blocs, jugée prometteus­e.

« Ce qu’on va voir, à moyen terme, ce sont des cryptomonn­aies soutenues par une devise nationale. Par exemple, la Banque du Canada pourrait émettre des jetons de dollars canadiens, affirme Louis Roy. Les cryptomonn­aies pourraient s’appuyer sur quelque chose qui a de la valeur. »

« Le réseau bitcoin et ceux d’autres cryptomonn­aies constituen­t une sorte d’expérience de laboratoir­e ayant permis de tester une nouvelle technologi­e, soulignait l’économiste Hendrix Vachon l’été dernier. La prochaine étape pourrait bien être une utilisatio­n à grande échelle des registres distribués [comme la chaîne de blocs] dans nos transactio­ns courantes. »

On a vu de la volatilité dans le marché immobilier, dans l’or, dans les devises. La volatilité n’est donc pas un problème en soi. QUENTIN KAYILA

 ?? LARS HAGBERG AGENCE FRANCE-PRESSE ?? Deux technicien­s de Bitfarms, à Saint-Hyacinthe, inspectent l’équipement de minage de la cryptomonn­aie.
LARS HAGBERG AGENCE FRANCE-PRESSE Deux technicien­s de Bitfarms, à Saint-Hyacinthe, inspectent l’équipement de minage de la cryptomonn­aie.

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