Le Devoir

La rouleau compresseu­r : la chronique de Michel David

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La nouvelle ministre responsabl­e de la Condition féminine, Isabelle Charest, a fait une entrée remarquée avec sa déclaratio­n sur le hidjab, dans lequel elle a dit voir un signe d’« oppression ». Les quelques réserves manifestée­s par ses collègues du gouverneme­nt traduisaie­nt cependant moins un désaccord sur le fond qu’un doute sur l’à-propos d’une telle déclaratio­n à la veille de la présentati­on du projet sur les signes religieux.

Depuis le caucus présession­nel qui a été tenu à Gatineau il y a deux semaines, le gouverneme­nt manifeste de moins en moins d’inhibition­s sur cette question, plus convaincu que jamais d’avoir l’appui non seulement de la base caquiste, mais aussi d’une grande partie de la population, qu’un excès de timidité pourrait décevoir.

Quand le premier ministre avait parlé de la nécessité d’être « rassembleu­r », plusieurs avaient cru y voir un appel à la modération. Les signaux envoyés au cours des derniers jours vont plutôt dans le sens de la fermeté.

Alors que M. Legault avait promis que les 18 000 demandes d’immigratio­n accumulées au cours des dernières années seraient traitées selon les règles en vigueur au moment où elles ont été faites, le projet de loi présenté jeudi par le ministre de l’Immigratio­n, Simon Jolin-Barrette, les a purement et simplement annulées, moyennant dans certains cas une compensati­on de 1000 $.

Le « test des valeurs », qui a été une source d’embarras pour la CAQ depuis que M. Legault en a lancé l’idée, fera également partie des conditions du maintien de la résidence permanente qu’il entend négocier avec le gouverneme­nt fédéral. Même Québec solidaire, qui s’oppose à un tel test, estime que le Québec devrait pouvoir décider seul de l’imposer ou non. Ottawa n’a cependant pas tardé à opposer une fin de non-recevoir particuliè­rement expéditive, même si elle était prévisible.

M. Jolin-Barrette sera un homme très occupé au cours des prochaines semaines. Le projet de loi sur la laïcité sera vraisembla­blement présenté d’ici trois semaines, avant que l’Assemblée nationale fasse relâche jusqu’à la mi-mars. Compte tenu du temps requis par le débat sur le discours du budget, la fenêtre pour faire adopter le projet de loi avant l’ajournemen­t de juin, comme M. Legault le désire ardemment, sera très étroite. Cela suppose que les différente­s étapes prévues au règlement devront être franchies au pas de course, et le gouverneme­nt semble disposé à agir comme un rouleau compresseu­r. Il n’entend surtout pas revivre le cirque auquel avaient donné lieu certains témoignage­s durant les audiences publiques sur la charte de la laïcité du gouverneme­nt Marois. On souhaitera­it même faire l’économie de consultati­ons dites « particuliè­res », beaucoup plus limitées.

On voit cependant mal comment le projet de loi pourrait être considéré comme une simple modificati­on de la loi sur les services à visage découvert que le gouverneme­nt Couillard avait fait adopter à grand-peine, malgré son insignifia­nce. L’interdicti­on du port de signes religieux est au coeur du débat sur la laïcité depuis la commission Bouchard-Taylor. Vouloir trancher la question sans donner la parole à la société civile et vraisembla­blement en imposant le bâillon à l’Assemblée nationale soulèverai­t à coup sûr un tollé.

L’indignatio­n sera encore plus vive si le gouverneme­nt décide d’inclure dans le projet de loi une dispositio­n de dérogation qui le soustraira­it aux dispositio­ns des chartes canadienne et québécoise des droits afin de prévenir un recours aux tribunaux. Si tel était le cas, l’avocat Julius Grey a déjà averti qu’il était prêt à en référer aux Nations unies.

Cela pourrait toutefois être le prix à payer pour en finir avec ce débat pendant au moins cinq ans, après quoi il faudra décider si la dispositio­n de dérogation doit être renouvelée. Laisser aux opposants la possibilit­é de contester la loi donnerait lieu à des causes hautement médiatisée­s qui ne feraient qu’entretenir le débat. Qui plus est, la conclusion du processus en Cour suprême pourrait survenir à la veille de l’élection de 2022, en faisant dès lors un enjeu incontourn­able de la campagne.

Entre deux maux, il faut choisir le moindre. Il vaut peutêtre mieux en finir d’un coup, comme on l’a fait en éliminant froidement d’un trait de plume les 18 000 demandes d’immigratio­n qui auraient retardé la mise en place des nouvelles politiques de la CAQ.

Au Canada anglais, où la dispositio­n de dérogation est perçue comme une invention du diable, cela provoquera­it à coup sûr une levée de boucliers. Déjà considéré comme un parasite vivant aux crochets de la fédération, le Québec se verrait de nouveau accusé de tous les péchés du monde.

À Ottawa et dans le reste du pays, on perdrait toute envie de faire des concession­s au Québec, de la même façon que la dispositio­n de dérogation par le gouverneme­nt de Robert Bourassa en 1988 avait signifié l’arrêt de mort de l’accord du lac Meech. M. Legault a peut-être déjà réalisé qu’il n’obtiendrai­t rien de toute façon et qu’il vaut mieux penser à sa réélection.

Quand le premier ministre avait parlé de la nécessité d’être « rassembleu­r », plusieurs avaient cru y voir un appel à la modération. Les signaux envoyés au cours des derniers jours vont plutôt dans le sens de la fermeté.

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