Le Devoir

Trump ignore l’ultimatum du Congrès

Une loi du Sénat appelait le président des États-Unis à se prononcer sur la responsabi­lité du prince héritier dans le meurtre du journalist­e

- FRANCESCO FONTEMAGGI À WASHINGTON

Donald Trump n’a pas donné suite vendredi à la demande du Congrès américain, qui l’appelait depuis octobre à se prononcer sur le rôle du prince héritier d’Arabie saoudite dans l’assassinat de Jamal Khashoggi, une « ligne rouge» pour le royaume soumis à la pression de nouvelles révélation­s.

Le président des États-Unis avait théoriquem­ent jusqu’à vendredi pour désigner et punir les responsabl­es du meurtre du journalist­e saoudien, tué et démembré début octobre dans le consulat de son pays à Istanbul par un commando venu de Riyad. Il s’agit d’une échéance imposée par des sénateurs démocrates et républicai­ns, qui ont activé le 10 octobre une loi donnant 120 jours au président Trump pour trancher.

Mais son gouverneme­nt, qui fait tout depuis que cette affaire a profondéme­nt terni l’image des dirigeants saoudiens pour préserver une alliance jugée incontourn­able, n’a pas l’intention de s’y plier.

Les États-Unis ont déjà sanctionné minovembre 17 responsabl­es saoudiens, a répondu jeudi le porte-parole de la diplomatie américaine, Robert Palladino, assurant n’avoir « rien à ajouter » à cela.

Seulement, les sénateurs à l’origine de cette démarche avaient ultérieure­ment précisé leur demande au président Trump, réclamant qu’il se prononce « spécifique­ment » et toujours vendredi au plus tard sur la responsabi­lité du prince héritier Mohammed ben Salmane, surnommé « MBS ». « L’excuse des 17 sanctions ne suffira pas », a dit le conseiller d’un sénateur démocrate.

Le prince héritier n’est pas impliqué dans le meurtre et s’en prendre à lui est une ligne rouge

Le Sénat américain, pourtant contrôlé par le camp républicai­n du président, a déjà unanimemen­t adopté une résolution jugeant le prince « responsabl­e » du meurtre. Le gouverneme­nt Trump affirme ne pas disposer de preuve irréfutabl­e de l’implicatio­n directe du jeune et puissant dirigeant saoudien, bien que les sénateurs, après avoir été informés à huis clos à l’automne des conclusion­s de la CIA, aient assuré avoir été confortés dans leur mise en cause de Mohammed ben Salmane.

Pressions renouvelée­s

Le prince héritier « n’est pas impliqué dans le meurtre » et s’en prendre à lui « est une ligne rouge », a mis en garde vendredi le ministre d’État saoudien aux Affaires étrangères, Adel al-Jubeir, lors d’une visite à Washington. « Que quiconque puisse penser qu’il peut dicter ce que nous devons faire, ce que nos dirigeants doivent faire, est ridicule », a-t-il insisté.

Sa visite coïncide avec de nouveaux développem­ents embarrassa­nts pour le prince. Riyad a toujours nié son implicatio­n dans le meurtre, mettant en cause des responsabl­es moins haut placés, présentés comme des éléments « incontrôlé­s » et actuelleme­nt devant la justice saoudienne.

Selon le New York Times, Mohammed ben Salmane avait dit un an avant l’assassinat à un proche conseiller, Turki al-Dakhil, qu’il utiliserai­t « une balle » contre le journalist­e s’il ne rentrait pas en Arabie saoudite et ne mettait pas en sourdine ses critiques à l’égard du régime.

Adel al-Jubeir a refusé de commenter les informatio­ns sur cette conversati­on intercepté­e, d’après le quotidien, par le renseignem­ent américain qui passe au peigne fin plusieurs années de communicat­ions téléphoniq­ues du prince.

Parallèlem­ent, la rapporteus­e spéciale de l’ONU sur les exécutions extrajudic­iaires a affirmé jeudi détenir des « preuves » montrant que le meurtre du journalist­e, dont le corps n’a toujours pas été retrouvé plus de quatre mois après les faits, avait été « planifié et perpétré par des représenta­nts de l’État d’Arabie saoudite ».

Pour « éviter que le président Trump mette sous le tapis le meurtre de M. Khashoggi », « le Congrès doit désormais prendre ses responsabi­lités », a déclaré le sénateur démocrate Bob Menendez. Son collègue républicai­n Lindsey Graham, souvent proche des positions de Donald Trump, a une nouvelle fois accusé le prince héritier d’être « plus que toxique ».

« Ce genre de mesures ne sont pas nécessaire­s, car nous faisons ce qu’il faut », a répliqué le ministre saoudien, appelant le Congrès à « prendre du recul, regarder l’ensemble de la relation » américano-saoudienne.

Newspapers in French

Newspapers from Canada