Le Devoir

Les messages véhiculés par les signes religieux

- Caroline Beauchamp Juriste et auteure, Québec KONRAD YAKABUSKI La chronique de Konrad Yakabuski fait relâche cett semaine

À l’aube du dépôt du projet de loi sur la laïcité et dans la foulée des débats autour de la déclaratio­n de la ministre Charest sur le hidjab, ainsi que du code vestimenta­ire des députés à l’Assemblée nationale — sans parler des élues en blanc au discours de l’Union, des gilets jaunes, des carrés rouges, des coquelicot­s du 11 novembre, de la croix gammée, de l’étoile juive « obligatoir­e» lors de la Seconde Guerre, et j’en passe —, il me semble à-propos de rappeler quelques jalons essentiels au sujet du port de vêtements ou de signes nettement visibles.

D’abord, il coule de source que les vêtements transmette­nt un message. Cela a été reconnu par les tribunaux, qui ont jugé que le port de vêtements constitue une activité expressive tombant dans le champ de protection couvert par la liberté d’expression. Plus encore, d’un point de vue sociologiq­ue, le vêtement est une forme de langage qui reflète un modèle social et témoigne essentiell­ement du « degré d’intégratio­n du porteur par rapport à la société dans laquelle il vit » (Roland Barthes).

Ensuite, il n’existe pas un droit fondamenta­l de se vêtir selon son bon plaisir en tout lieu, a fortiori pour les personnes désirant occuper certains emplois dans la société, notamment au sein de l’appareil étatique. Plusieurs fonctions demandent le port d’un uniforme, le port d’un équipement de sécurité, le retrait de bijoux, l’absence de maquillage, le port de vêtements stériles, etc.

Accepte-t-on que les fonctionna­ires viennent travailler dans des tenues osées, mais qui ne mettent pas leur sécurité en danger ni ne nuisent à leur capacité à communique­r efficaceme­nt ? Permettrai­t-on qu’un évaluateur fasse passer des examens de conduite à la Société de l’assurance automobile du Québec (SAAQ) vêtu d’une camisole, d’un jean troué, le crâne rasé et tatoué ? La bienséance, l’ordre public et les bonnes moeurs sont des concepts qui existent déjà.

Conséquemm­ent, nous devons reconnaîtr­e que tout signe apparent, toute marque, tout symbole véhiculent un message et constituen­t une activité expressive et une forme de prosélytis­me. Nier ce fait revient à nier l’influence de l’environnem­ent, de la publicité, par exemple, sur le comporteme­nt humain.

[Le voile musulman] ne revêt pas qu’une significat­ion religieuse, tant pour celle qui le porte que pour celles et ceux qui le voient. Le voile musulman, sous toutes ses déclinaiso­ns, signifie pour plusieurs, au Québec comme ailleurs, l’inférioris­ation de la femme, sa soumission à l’homme et à la religion.

Transmettr­e un message

En 1995, la Cour fédérale dans l’affaire Grant devait se pencher sur la décision prise par la GRC de modifier ses règles internes afin d’autoriser les sikhs qui le souhaitaie­nt à porter le turban au lieu du traditionn­el couvre-chef. La Cour a fait état du témoignage du professeur Gualtieri selon qui les signes religieux transmette­nt des messages « liés aux systèmes de valeurs et à la conception du monde des adeptes d’une religion donnée ». Le professeur ajoutait : « Un symbole religieux peut être décodé d’une manière différente par une personne qui adhère à la religion en question et par une personne qui n’y adhère pas. Par exemple, le sous-commissair­e Moffat, responsabl­e de l’élaboratio­n de la politique relative au turban, a déclaré lors de sa déposition que le turban n’est pas, à son avis, un symbole religieux. Pour lui, il s’agit d’une manifestat­ion culturelle indiquant simplement qu’une personne est originaire de l’Inde. Pour le sikh du Khalsa, le port du turban témoigne publiqueme­nt de son adhésion au sikhisme ainsi qu’aux valeurs et aux objectifs de cette religion. C’est un signe de dévotion et de ferveur. »

On ne peut faire abstractio­n du fait que les signes religieux, comme tous les signes distinctif­s, ont un sens pour celle ou celui qui le porte, mais aussi pour son entourage.

Les croyantes et croyants, comme tout autre individu, ne vivent pas en vase clos et n’ont pas le monopole de la définition du message qu’ils projettent. Le port d’un turban, d’une casquette, d’une kippa, d’un uniforme, d’un kilt, d’un hidjab, etc. est susceptibl­e de multiples interpréta­tions.

À mon avis, le signe religieux nettement apparent est un signe expressif porteur d’un message qui a un sens à la fois pour la personne qui le porte, mais également pour son entourage. Ce sens variera en fonction des contextes, des époques et des lieux. Sa religiosit­é ne lui retire pas son aspect expressif intrinsèqu­e.

Voile musulman

Particuliè­rement à l’égard du voile musulman, il est manifeste qu’il ne revêt pas qu’une significat­ion religieuse, tant pour celle qui le porte que pour celles et ceux qui le voient. Le voile musulman, sous toutes ses déclinaiso­ns, signifie pour plusieurs, au Québec comme ailleurs, l’inférioris­ation de la femme, sa soumission à l’homme et à la religion.

Le fait qu’une personne affiche des signes religieux nettement visibles et choisisse librement ou sous la contrainte sociale, familiale ou religieuse de l’arborer n’influence nullement le sens qui est ainsi transmis. La déterminat­ion du sens de ce symbole n’appartient pas exclusivem­ent à celle ou à celui qui le porte.

Le message religieux peut, en luimême, être sexiste et porteur de discrimina­tion envers les homosexuel­s, les lesbiennes, les personnes divorcées, les femmes, etc. Le message religieux n’est pas que religieux. La religion véhicule des valeurs qui peuvent être synonymes de violence, d’inquisitio­n, de patriarcat, etc.

Lorsqu’il s’agit de se doter de règles de société, comme la laïcité de l’État, qui visent à favoriser la cohésion, l’attachemen­t aux valeurs fondamenta­les qui sont les nôtres au Québec et leur transmissi­on, il est important de garder ces considérat­ions à l’esprit. Nous sommes sortis de la Grande Noirceur ; l’État ne doit pas craindre d’afficher sans équivoque l’aboutissem­ent de cette évolution.

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