Le Devoir

Le gouverneme­nt Legault sauvera-t-il les régions ?

- Bernard Vachon Professeur retraité du Départemen­t de géographie de l’UQAM

François Legault a promis de mettre les régions au coeur de ses politiques. Les régions l’ont cru et ont porté son parti au pouvoir. Qu’en est-il maintenant ?

Il existe, depuis trop longtemps, un « Québec des oubliés », délaissé par les gouverneme­nts successifs : fermeture de services publics comme les écoles primaires et les dessertes par train et autobus, coût du transport aérien exorbitant, départ de caisses populaires, dépérissem­ent des centres-villes, déclin des villages, désertific­ation médicale, culturelle et alimentair­e, perspectiv­es d’avenir bloquées pour les jeunes, une qualité de vie qui se désagrège, des milieux de vie en déshérence, des communauté­s qui se sentent dépossédée­s.

Tous ces problèmes sont bien connus et font régulièrem­ent l’objet d’études et de rapports déprimants suivis de discours politiques vertueux promettant les correctifs qui s’imposent. Or, les actions déterminan­tes se font toujours attendre.

Cette fracture n’est pas une fatalité, c’est le résultat d’évolutions économique­s et sociales telles l’industrial­isation et l’urbanisati­on accélérées depuis les années 1950, que des choix politiques ont consolidée­s et conduites vers toujours plus de concentrat­ion sur les pôles de Montréal et de Québec. Ce qui a eu pour conséquenc­es le dépeupleme­nt et la spirale de la dévitalisa­tion des territoire­s hors des grands centres et de leurs zones d’influence.

Cette situation, qui nourrit un profond sentiment d’incompréhe­nsion et d’abandon chez les élus locaux et les population­s concernées, appelle à un nouveau contrat territoria­l entre l’État, les grandes villes et les régions.

« Soyons novateurs et osons », clame le premier ministre Legault. Oser notamment sur le plan économique pour créer de l’emploi et de la richesse afin de combler l’écart avec l’Ontario et s’affranchir de la péréquatio­n nationale. Mais la performanc­e économique d’une nation ne tombe pas du ciel par les seules incantatio­ns et pèlerinage­s d’un chef d’État, tout homme d’affaires accompli qu’il fut dans une autre vie. Il y a un écosystème, un milieu novateur à mettre en place, en amont de l’initiative économique, pour susciter des projets d’entreprise­s.

Quant au bien-être et à l’épanouisse­ment social et culturel de la population, l’effort économique seul ne suffit pas. Des politiques «audacieuse­s» sont requises pour donner accès à tous les territoire­s aux services publics et ainsi garantir l’égalité des chances.

Ce qui suppose une vision de développem­ent qui englobe toutes les régions du Québec, et une territoria­lisation de l’action publique pour que soient prises en compte les spécificit­és de chaque milieu. C’est ici que se tient la véritable audace du gouverneme­nt.

Des réalités émergentes

Des évolutions récentes dans les domaines technologi­que, économique et écologique donnent lieu à de nouvelles logiques de localisati­on chez les entreprene­urs, les travailleu­rs et les familles. La dématérial­isation de l’économie, la révolution numérique, l’essor du télétravai­l, les nouvelles organisati­ons du travail, la quête d’une meilleure qualité de vie, invitent à porter un regard nouveau sur les petites villes et les villages en région comme lieux de vie et de travail. Des territoire­s situés hors des grands pôles urbains peuvent être des endroits où on a envie de vivre, de produire et de travailler, où on est contents d’habiter.

Par ailleurs, les dysfonctio­nnements des grandes villes (pollution, congestion routière, coût de l’habitation et des espaces de bureau, insécurité et criminalit­é, stress de la vie quotidienn­e…) sont de plus en plus oppressant­s. Un phénomène d’exode urbain apparaît.

Ce contexte confère un potentiel d’attractivi­té nouveau aux régions désormais vues comme des lieux désirables et viables pour les entreprise­s et les familles.

Le redéploiem­ent économique et démographi­que en dehors des agglomérat­ions de Montréal et de Québec se concrétise­ra dans la mesure où l’État acceptera d’accorder les investisse­ments appropriés pour doter les régions des atouts nécessaire­s à l’occupation et à la vitalité des territoire­s, soit des infrastruc­tures, des équipement­s et des services publics accessible­s à tous.

Il faut créer un environnem­ent attractif pour les entreprise­s et les familles en région. Si l’économie est mondialisé­e, la production est localisée et à ce titre doit bénéficier d’une politique publique d’accompagne­ment adaptée aux besoins et aux attentes des entreprene­urs, des travailleu­rs et des familles. Une politique qui se décline sur la base de plusieurs paramètres: quatre modes de transport efficaces, disponibil­ité et formation de la maind’oeuvre, Internet haut débit et téléphonie cellulaire, structures locales de développem­ent et programmes de financemen­t, services aux familles (éducation, culture, santé, sports et loisirs, administra­tion publique, services de proximité, protection et mise en valeur des patrimoine­s naturels, bâtis et immatériel­s, etc.).

Dans cette démarche, l’aménagemen­t du territoire est appelé à jouer un rôle de premier plan au service des grandes orientatio­ns gouverneme­ntales d’occupation, de vitalité et de cohésion des territoire­s.

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ISTOCK Le contexte actuel confère un potentiel d’attractivi­té nouveau aux régions désormais vues comme des lieux désirables et viables pour les entreprise­s et les familles.

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