Arts visuels
Olya Zarapina revisite un édifice marquant pour l’histoire de l’art contemporain au Québec
Voilà une oeuvre qui pourra avoir l’air nostalgique. Mais la chose est-elle si simple ? Cette tristesse semble s’énoncer en premier lieu dans les matériaux et même le dispositif scénique utilisés par Olya Zarapina. L’artiste exhibe une technologie d’un passé récent qui paraîtra désuète pour certains, voire totalement mystérieuse pour les plus jeunes.
Au centre de cette installation, ce qui ressemble à une pellicule de cinéma est posé sur toute sa longueur sur une sorte de table, qui est en fait une ancienne porte accordéon d’ascenseur. Cette pellicule, très lentement, circule en boucle, projetée sur un panneau. En fait, il s’agit d’une pellicule photo utilisée d’une manière inventive. Grâce à un ancien appareil analogique, Zarapina a pris des photos, mais à chaque image prise, elle a un peu rembobiné sa pellicule afin de ne pas avoir de coupure entre les poses. Après quelques essais et erreurs, l’artiste a finalement obtenu un immense panorama, de quelques mètres de long, qui s’étale sur cinq pellicules mises bout à bout. Ce panorama est projeté en continu sur un écran sans avoir besoin de la mécanique complexe du projecteur de film. Le résultat se révèle comme un renouvellement original de la technologie ancienne, plus qu’une énième et triste réitération de celle-ci. L’artiste parle de son travail comme étant une forme de «photographie élargie», comme on parlait autrefois de cinéma élargi (expanded cinema).
Le sujet traité dans cette oeuvre et la manière de l’aborder participent à cette mémoire réinventée, à ce mélange de temporalités entre ancien et nouveau. Dans une curieuse mise en abyme, ce «film» met en scène les différents étages de l’édifice le Belgo, lieu incontournable de l’art au Québec, immeuble de la rue SainteCatherine où le public se presse, en particulier les samedis, dans le but de voir de l’art contemporain dans
Ce qui est plus fascinant dans cette oeuvre est sa résistance à l’image. Plongée dans la pénombre, avec son image évanescente, cette oeuvre s’avère des plus difficiles à photographier, à documenter par l’image, à regarder même.
des centres d’artistes et des galeries. Ce lieu semblera ici ancien, la couleur souvent ocre de l’image et ses contours flous — obtenus par la vieille lentille d’un projecteur soviétique réutilisée — ajoutant un look suranné à l’ensemble.
On dirait un ancien film remontré après des années d’oubli et dont les couleurs se seraient un peu ternies. Pour compléter ce portrait du Belgo, Zarapina a surimposé sur la pellicule des noms de galeries et de commerces aujourd’hui fermés ou ayant déménagé, mais qui ont pourtant fait la réputation de cet immeuble: Optica, Joyce Yahouda, SAS, Nicolas Robert, René Blouin, Dominique Bouffard, Mistral… et j’en passe! Un malin hasard voulut que la galerie Trois Points en soit à son dernier jour de fonctionnement l’une des journées où l’artiste «tourna» son film. On notera aussi que le magasin Fabricville et le resto Piz Pistol firent partie de ce paysage culturel hétéroclite. Tout cela amplifie l’atmosphère triste de l’ensemble… Le Belgo ne serait-il plus ce qu’il était ?
Cette installation est-elle donc comme une forme de nostalgie culturelle? À moins que ce ne soit la culture qui soit toujours un peu affaire de nostalgie dans notre culture populaire qui a encore bien du mal avec le contemporain. Rappelons que ce sont
Chantal Boulanger et René Blouin qui, en septembre 1986, furent les premiers à ouvrir des galeries d’art au 5e étage de cet édifice. Installés à côté de fabriques de fourrures, ils lancèrent cet immeuble dans le monde des arts, lieu qui attira par la suite un nombre important de galeries. Cela en fit le lieu qu’il fallait voir pour savoir ce qui se faisait au Québec. Et de nos jours? On pourrait plutôt percevoir cette oeuvre comme une consécration de ce lieu qui, avec sa dizaine de galeries d’art contemporain, est toujours très actif. Jusqu’au jour où un promoteur immobilier voudra en faire un immeuble à condos.
En fin de compte, ce qui est encore plus fascinant dans cette oeuvre est sa résistance à l’image. Plongée dans la pénombre, avec son image évanescente, cette oeuvre s’avère des plus difficiles à photographier, à documenter par l’image, à regarder même. On scrute l’image pour se repérer. On essaie de se retrouver, alors qu’on est soi-même dans le même immeuble. La photographie y défie la photographie. Un rappel que l’art — même ancien — est toujours un dialogue avec le moment présent, dans un va-et-vient avec un moment présent toujours aussi fragile culturellement, aussi fragile qu’il l’a été.
H3B 1A2 : 2019.TBD
D’Olya Zarapina. Au Centre des arts actuels Skol, jusqu’au 16 février.