Un homme d’exception
L’adolescent lunatique, effacé, débraillé, au comportement très différent des jeunes de son âge, faisait le désespoir de ses parents, en particulier de sa mère. Quant à ses camarades, ils le considéraient au mieux comme un inadapté, au pire comme un demeuré. C’est que le cerveau bouillonnant d’Alan Turing nourrissait bien d’autres préoccupations que son image sociale, lui, le génie à la curiosité sans bornes pour qui la logique mathématique pouvait s’appliquer à tout.
Obnubilé par la conception d’une machine à calculer universelle, le jeune scientifique avait notamment réussi, pendant la Seconde Guerre mondiale, à décrypter les codes de communication entre Hitler et son équipe du régime nazi, pour le compte des ser vices secrets britanniques.
Le roman biographique de Jacques Marchand, La joie discrète d’Alan Turing, met le lecteur sur la piste intime de cet être intrigant, imprévisible, fuyant, capable aussi d’humour à ses heures, dont les travaux servirent plus tard de base théorique à la création des premiers ordinateurs. Et de ce que lui appelait «l’intelligence mécanisée», aujourd’hui baptisée «intelligence artificielle».
Le livre présente en alternance les réflexions de Turing sur sa vie personnelle et professionnelle, avec moult tribulations à la clé, puis le récit d’un narrateur en quête des lieux où a vécu le scientifique doublé d’une sensibilité artistique. Et d’une certaine naïveté. Ainsi, une fois révélée au grand jour l’homosexualité de cet éminent personnage, puis les «accusations» dans la foulée, il se fera plus transparent que nécessaire dans sa déposition.
Turing le paiera très cher, de son corps, de son âme, de sa science: nous sommes à la fin des années 1940. En Grande-Bretagne, un pays déjà en retard sur d’autres à ce chapitre. Puis la mort du génie, elle, reste encore énigmatique, tout comme le fut sa vie.
Voilà un roman biographique, certes, mais aussi social et historique. Avec une pointe technologique, le tout dans un style fluide.