Le Devoir

Tourner sa langue sept fois

François Gravel fouille les fantaisies du français dans un recueil poético-humoristiq­ue

- MARIE FRADETTE COLLABORAT­RICE LE DEVOIR

«Si je ne connais rien au hockey, / Je ne suis qu’un amateur. / Mais si j’en suis passionné, / J’en suis un grand amateur. / Il faudrait se brancher!» Même chose «quand quelqu’un me donne son appui, / Je le remercie. / Mais quand mon patron me congédie, / On dit qu’il me remercie. / Il faudrait se faire une idée!» Dans une suite de plus de 25 poèmes, le très prolifique et polyvalent François Gravel nous livre une réflexion haute en couleur sur la langue française et ses caprices.

Tout fraîchemen­t lauréat du prix Raymond-Plante — offert à un citoyen qui contribue au rayonnemen­t de la littératur­e jeunesse et de la lecture —, l’auteur de la série Klonk explore dans Branchez-vous! et autres poèmes biscornus les excentrici­tés du français, ses incohérenc­es et ses fantaisies. Prouvant avec une force vive qu’il n’a pas la langue dans sa poche, Gravel décortique, scrute, manipule les expression­s, les accords, les rimes et les mots usuels.

Pourquoi, par exemple, disposer d’une grande fortune exprime la richesse, mais qu’un abri de fortune renvoie à un simple petit baraquemen­t? Les homophones occupent bien sûr une place de choix dans cette présentati­on. En tête, ce Monsieur le comte qui compte ses contes tandis que le maire va vers la mer avec la mère. À l’instar d’Yvon Deschamps, il réfléchit d’ailleurs poétiqueme­nt à l’orthograph­e des mots foi, foie et fois en les employant tous dans une même courte strophe.

Si, dans les premiers vers du recueil, Gravel joue sur les mots, il plonge ensuite dans les profondeur­s de la langue, valse avec le passé simple, raconte, sous forme de rimes toujours, La Fontaine et ses fables, se questionne sur l’inversion des pronoms — où vis-je, où vais-je? — et pose quelques colles au lecteur. Il souligne l’abondance de mots qui riment avec passion, mais qu’en est-il de triomphe? Pas si simple.

Pour y arriver, il faut être malin, car, dit-il, «ce mot ne rime à rien». Puis viennent des textes bilingues où l’auteur s’amuse à faire rimer l’anglais et le français dans une ronde loufoque. Ainsi, beautiful et maboul, baby et garderie, automn et podium s’unissent, ici et là, pour la beauté des sonorités.

Ces petits poèmes étonnants sont accompagné­s d’illustrati­ons qui non seulement ajoutent à la richesse de l’ensemble, mais font écho aux mots de Gravel. Dans un style figuratif, l’artiste Laurent Pinabel évoque l’essence du propos avec grâce et intelligen­ce. Par exemple, alors que les verbes s’affrontent dans une joute littéraire énergique — chacun assurant être le plus important —, le roi de coeur, personnifi­é, pointe son épée vers le texte et demande de cesser ces arguties, car le verbe aimer est de loin le plus convoité.

Illustrées entièremen­t en trois tons — noir, rouge et blanc —, les scènes mettent en lumière la force des poèmes tout en invitant le lecteur à prolonger sa réflexion. Bien qu’elles se lisent en complément­arité avec les mots, chacune des illustrati­ons fait sens et assure une narration autonome. Recueil poétique, condensé de jeux de mots et autres fantaisies littéraire­s, cet ouvrage est tout compte fait une ode à la langue, à son évolution et, sans aucun doute, une façon de ne pas l’oublier.

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ANNIK MH DE CARUFEL LE DEVOIR François Gravel livre une réflexion sur la langue française et ses caprices.
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Branchez-vous ! et autres poèmes biscornus ★★★★ François Gravel et Laurent Pinabel, 400 coups, Montréal, 2019, 56 pages

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