Sauver l’Arctique pour la planète
Pour Sheila Watt-Cloutier, l’état du pôle Nord annonce le désastre écologique mondial
Il fallait être Inuit pour proclamer à la face de l’univers que «l’Arctique est le baromètre de la santé de la planète» et que l’empoisonner, «c’est nous empoisonner tous». Il fallait même être femme pour établir que les Inuits sont «des sentinelles postées au sommet du monde» afin de nous avertir de la menace du réchauffement climatique en revendiquant « le droit au froid», selon le titre du livre de Sheila Watt-Cloutier, qui y révèle que « la glace est la vie ».
Née en 1953 à Kuujjuaq, dans le nord du Québec, la militante se réclame de Rachel Carson (1907-1964), biologiste et écologiste américaine qui, dans Silent Spring (1962), que l’on a comparé pour l’importance historique à De l’origine des espèces (1859) de Darwin, s’inquiéta de la pollution que les pesticides infligent à l’écosystème. Plus tard, les scientifiques conclurent que les pesticides et d’autres contaminants ne s’évaporent pas à cause du froid, si bien que l’Arctique en accumule démesurément en provenance d’ailleurs.
Inuite, mais en partie de souche européenne, Sheila Watt-Cloutier a fondé un foyer avec son ex-mari, le Québécois Denis Cloutier, et a été des années présidente de la section canadienne du Conseil circumpolaire inuit. C’est d’ailleurs Lisa Koperqualuk, vice-présidente actuelle de cette section de l’organisation non gouvernementale qui représente les Inuits du Canada, de l’Alaska, du Groenland et de la Sibérie, qui a préfacé son ouvrage.
Surtout anglophone, Sheila WattCloutier a dû, signale-t-elle dans son autobiographie doublée d’un essai, se «réapproprier» sa langue ancestrale, l’inuktitut, toujours vivante au sein du peuple dont elle a embrassé la cause. Pour elle, l’écologie du globe est un défi culturel et intime.
En tant que femme, elle souffre de voir que dans l’Arctique les polluants non évaporés transmis par les mers du monde font de la région polaire un monstrueux grossissement de la tragédie planétaire. Ils y souillent l’être humain et la faune, s’insinuent même, précise l’essayiste avec éloquence, «dans le lait maternel des mères inuites allaitantes et dans le sang du cordon ombilical des enfants inuits ».
Le désastre
Cette concentration polaire des polluants, associée à la misère des Inuits, qui, rappelle Sheila WattCloutier, «présentent le plus haut taux de suicide en Amérique du Nord», n’est que le complément logique du réchauffement planétaire, réalité concrète pour les habitants de l’Arctique, dont le mode de vie s’en trouve bouleversé. Mais le désastre, remarque-t-elle, n’est encore qu’«une abstraction pour une grande partie de la population mondiale ».
Voilà le manque de clairvoyance que la sage et tenace Sheila de la banquise fondante tente désespérément de dissiper en exhortant à l’action les maîtres de l’économie planétaire.