Le Devoir

Les voix du Québec à la Berlinale

- ODILE TREMBLAY

Ça y est! Le Québec entre dans la danse berlinoise… Répertoire des villes disparues, de Denis Côté, est projeté en compétitio­n lundi. L’équipe d’Une colonie, de Geneviève Dulude-De Celles, vivait les émois de sa grande première dimanche midi, dans la section Génération, sous de longs applaudiss­ements et un flot de questions de l’auditoire.

La feuille d’érable célèbre son septième art de concert et Stéphane Dion, ambassadeu­r du Canada à Berlin, est venu rencontrer le milieu du cinéma à la réception de Téléfilm samedi soir, visiblemen­t ravi de voir débarquer ce flot de compatriot­es. À l’étranger, tout le monde se serre les coudes.

J’aurai rencontré auparavant, coup sur coup, les deux cinéastes québécois aux trajectoir­es si différente­s. Denis Côté, vieux routier de la Berlinale, compte cinq films au compteur, dont deux précédents en compétitio­n: Vic + Flo ont vu un ours (primé ici) et Boris sans Béatrice. La réalisatri­ce d’Une colonie, avec son premier long métrage,

lance sa ligne en Allemagne avec des espoirs de diffusion internatio­nale.

Reste qu’à travers des modes et des tons différents, leurs films choraux dégagent des similitude­s sur leitmotive à la fois québécois et universels. Dans de petites communauté­s tricotées serrées, l’envie de fuir le berceau rural se heurte à celle de rester au bercail, la soif d’appartenan­ce au groupe s’oppose aux élans d’ouverture. La peur de l’autre rôde.

« Toujours la question identitair­e, bien sûr, dit Denis Côté. On fait voyager le Québec avec fierté tout en sachant que nos films dégagent une image de déracineme­nt… Mais l’Occident entier fait face à ces enjeux aujourd’hui. »

On fait voyager le Québec avec fierté tout en sachant que nos films dégagent une image de déracineme­nt… » Mais l’Occident entier fait face à ces enjeux aujourd’hui. DENIS CÔTÉ

On rencontre le cinéaste de Répertoire des villes disparues à son hôtel aux côtés de Laurence Olivier, auteure du beau livre du même nom en fragments poétiques, dont le film, en salles le 15 février chez nous, s’est librement inspiré. «J’en retrouve l’esprit, les personnage­s partout », déclare l’écrivaine. Sauf que ça se passait à l’écrit sans fantômes et sans personnage de mairesse. Le cinéaste l’a mis à sa main.

Dans un petit village perturbé après l’accident-suicide d’un adolescent, des revenants apparaisse­nt, au grand dam de la population. Le film, Denis Côté l’a abordé comme une métaphore du chemin Roxham et autres voies de passage où l’arrivée de quelques milliers d’étrangers fait frémir la population locale. Ce grand urbain se dit fasciné par l’aspect « On règle nos problèmes entre nous » des petites communauté­s : « Il y a toujours du Far West dans mon affaire. »

Il avait envie de toucher au film de genre (abordé dans Vic + Flo et Curling). Les affamés, de Robin Aubert, était dans l’air et l’a séduit. Le cinéaste n’avait guère envie pour autant de verser dans la production d’horreur au premier degré, plutôt d’adopter un mode de distanciat­ion assez lyrique avec des touches d’humour, une image pas toujours léchée, des bruitages, une ambiance.

Entre films ambitieux et petites production­s plus expériment­ales (il vient de terminer Will Cox à compte d’auteur), ses oeuvres voyagent.

Reste à voir comment son Répertoire des villes disparues sera reçu au festival. Ce film choral apparaît dans le droit fil des oeuvres de Denis Côté ; terres coupées du monde, mystères planants, traumatism­es enfouis en tunnels de déroute. Ici, tout démarre sur un mode réaliste avec le drame du jeune accidenté qui chamboule le village, avant de pénétrer en douce le rayon fantastiqu­e. Le profil de la mairesse à poigne de fer, incarnée avec beaucoup d’aplomb par Diane Lavallée et celui d’une jeune marginale, porté avec une grâce énigmatiqu­e par Larissa Corriveau, posent les lignes de tension.

Les enfants masqués surgissant ici et là confèrent au film une note d’insolite beauté, mais la cohorte des revenants adultes apparaît assez statique. Comme si, en traitant légèrement cet apport fantastiqu­e, Denis Côté ne se l’était pas pleinement approprié, là où les touches oniriques de son film Curling trouvaient jadis leur pleine résonance.

Le film qui balance entre les genres, avec des fulgurance­s, ne maintient pas toujours sa charge, mais fascine par l’élégance de ses plans, ses questions sous-jacentes, sur le rapport à l’immigratio­n entre autres et la vie difficile en milieu rural, qui résonnent en nous.

Bel accueil pour Une colonie

L’équipe d’Une colonie est venue à Berlin en force (21 personnes, rien de moins), dont les jeunes acteurs principaux, Émilie Bierre, Irlande Côté et Jacob Whiteduck-Lavoie, tous trois en nomination aux Écrans canadiens, où le film est sept fois cité. « C’est le cas de le dire : on est ici une vraie colonie », dit en riant la cinéaste Geneviève Dulude-De Celles.

Sa fine et émouvante chronique d’un passage à l’âge adulte, en salles au Québec depuis le 1er février, primé dans plusieurs festivals canadiens, connaît sur nos écrans le succès critique et public. « Il y a des salles pleines, même au Guzzo de Laval », s’émerveille la cinéaste.

Ses petits interprète­s découvrent Berlin, transformé­s par le film. « Une colonie m’a appris à sortir du cercle», précise Émilie Bierre, qui avoue se méfier désormais du conformism­e. Son personnage d’adolescent­e sensible, au coeur du film, se lie d’amitié avec un autochtone de la réserve voisine d’Odanak, après avoir rejeté ce poète introverti qui l’initiera à un monde de mystère. Le magnifique costume amérindien porté à une fête de fin d’année scolaire par l’acteur anichinabé, miroir de son monde intérieur, avait été, explique-t-il, fabriqué dans sa communauté et prêté pour le tournage. C’est son premier rôle, mais il a la piqûre…

Quant à Irlande Côté (9 ans), qui joue la délicieuse cadette de l’héroïne, elle fait carrément le pont québécois entre les deux longs métrages québécois à Berlin. « Je joue une enfant masquée dans Répertoire des villes disparues », déclare-telle avec aplomb. On se sentirait chez soi à la Berlinale pour moins que ça…

Odile Tremblay séjourne à Berlin grâce au soutien de la Berlinale et de Téléfilm Canada.

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MARIE-FRANCE COALLIER LE DEVOIR Geneviève Dulude-De Celles

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