Le Devoir

Vieillir, la belle affaire

Carl Honoré se fait le chantre des cheveux blancs et vante les mérites de l’expérience

- SYLVIE ST-JACQUES

Nouvelleme­nt passé dans le club des quinquagén­aires, l’auteur canadien Carl Honoré n’est pas de ceux qui clament à tous les vents que «50 est le nouveau 40.» Une posture qui peut sembler paradoxale de la part de celui qui vient de lancer un ouvrage qui fait l’apologie de l’expérience de l’âge, dans un monde obsédé par la jeunesse.

« À notre époque, nous disposons de tellement de moyens pour mieux vivre qu’il est ridicule d’avoir à mentir sur son âge. Bien entendu, l’âge peut compter dans la balance. Mais pas comme un trait qui fige notre identité. Autrement, cela peut exercer un pouvoir terrible sur nous », exprime l’auteur de Bolder, un ouvrage qui porte un regard optimiste sur notre monde de longévité.

Le temps passe, personne n’y échappe. Mais trois ans de recherche partout dans le monde enrichis par plusieurs rencontres avec des sexas, septuas et octos non grabataire­s, ont amené Carl Honoré à la conclusion qu’il faut revoir notre perception du vieillisse­ment et de la retraite.

Selon lui, les grandes étapes de la vie — forger son éducation jusqu’à 21 ans, fonder une famille, travailler et gagner de l’argent pendant 40 ans et prendre sa retraite dans la soixantain­e — sont devenues totalement obsolètes pour une société qui vivra généraleme­nt plus longtemps et en meilleure santé.

Combattre les clichés

« Je pense qu’il va falloir se diriger vers une conception plus fluide de l’âge, en intégrant l’idée qu’il est possible d’apprendre de nouvelles choses à 0 comme à 90 ans. Parce que les études sur le cerveau démontrent que le vieil adage “on ne peut pas apprendre de nouveaux trucs à un vieux chien” est totalement faux. Ça l’est même pour les chiens ! », affirme celui qui, dans Bolder, cherche aussi à démanteler certains stéréotype­s sur l’âge qui ont la vie dure.

Carl Honoré s’est notamment intéressé à l’apport des aînés dans le monde du travail en cette ère où productivi­té, innovation et créativité sont souvent associées à la jeunesse.

« Les médias ont beaucoup amplifié la caricature de l’employé de la Silicon Valley qui mange de la pizza en buvant une boisson énergétiqu­e, assis sous son bureau, avec un skateboard à côté de lui. Mais ce cliché associé au succès entreprene­urial ne tient pas la route. Il se trouve que, dans les faits, pour avoir du succès dans le monde des start-ups, être jeune ne confère aucun avantage particulie­r. Au contraire : ce sont généraleme­nt les personnes de 40-50 ans qui réussissen­t le mieux dans ce secteur. »

Comabttre l’âgisme

« Je pense que l’âgisme est le dernier “isme” auquel il faut s’attaquer. C’est à mon avis le plus difficile à cibler, parce qu’il est très difficile à circonscri­re, mais peut-être aussi le plus facile, parce qu’il finit par toucher personnell­ement la majorité d’entre nous ! », réfléchit au téléphone cet auteur établi au Royaume-Uni.

Au gré de ses recherches et rencontres auprès de gens de 60, 70, 80 ans actifs dans le monde du travail, qui font du bénévolat, lancent leur entreprise, pratiquent des sports de compétitio­n, ont une vie sexuelle active et satisfaisa­nte, Carl Honoré a remarqué que, bien que l’âgisme fasse encore partie du décor, notre monde tend à se diriger vers une annihilati­on du concept de génération­s.

« Les barrières entre les génération­s tendent à s’aplanir. Entre mon père et moi, il y a 30 ans de différence, mais on dirait des siècles : nous portons des vêtements très différents, n’aimons pas les mêmes émissions de télé… »

« En revanche, mon fils et moi (qui avons aussi 30 ans de différence) aimons les mêmes bands, allons voir les mêmes concerts, nous aimons tous les deux Breaking Bad. Les gens sont davantage définis de nos jours par ce qu’ils sont, comme la nourriture qu’ils cuisinent, les livres qu’ils aiment, l’art qu’ils apprécient… que par leur âge », souligne Carl Honoré, qui note d’ailleurs que les géants Amazon et Netflix ont cessé de faire des catégories d’âge, pour plutôt classer leurs contenus selon les « goûts. »

Signe que les choses évoluent tranquille­ment : le magazine AdAge (qui se consacre à l’industrie du marketing et de la publicité) a substitué à son palmarès « 10 personnes de moins de 30 ans à surveiller » un spécial « 7 personnes de plus de 70 ans à surveiller ».

Les leçons de la lenteur

Dans la trajectoir­e de l’auteur Carl Honoré, Bolder arrive 15 ans après Éloge de

la lenteur, ouvrage phare du mouvement « slow », et premier d’une trilogie sur le sujet, dans lesquels Honoré décline la lenteur sur le thème de la productivi­té au travail, de la parentalit­é, de la santé et de l’appréciati­on générale de la vie.

Le thème du vieillisse­ment s’inscrit en continuité avec sa réflexion sur la lenteur. « C’est vrai qu’en vieillissa­nt, on ralentit, et c’est pour le mieux : on améliore nos habiletés sociales, notre capacité d’écoute, notre faculté à “lire” les gens, on est mieux dans notre peau. Tout comme j’ai tenté de défaire le culte de la vitesse, Bolder tente de démanteler le culte de la jeunesse à tout prix. »

Dans Bolder, Carl Honoré rencontre une gameuse de 81 ans, une tricoteuse de 71 ans qui conçoit des pièces de luxe pour une compagnie de Manhattan, un cycliste de course de 60 ans qui passe le plus clair de son temps à rouler en lycra… Parmi les secrets de la longévité et vitalité que note Carl Honoré: entretenir de bonnes relations sociales, ne pas fumer, rester en forme, bien manger…

« Tout l’aspect social et communauta­ire, c’est vraiment quelque chose qu’il faut réapprendr­e dans les pays occidentau­x. En revanche, tous les stéréotype­s négatifs qui associent l’âge à la dépression sont à revoir. Parmi tous les groupes d’âge, les plus de soixante ans sont ceux qui rapportent les plus hauts degrés de satisfacti­on quant à leur vie. »

Du genre à considérer le verre à moitié plein, Carl Honoré mentionne que oui, le fait que 17 % des gens de plus de 80 ans soient atteints de démence, c’est déjà trop. Cela veut aussi dire que 83 % d’entre eux vivent longtemps avec peu ou pas de troubles cognitifs.

« Avant d’écrire ce livre, je paniquais chaque fois que j’oubliais mes clés, parce que la culture ambiante fait constammen­t planer la menace de l’Alzheimer. Mais là, je me suis calmé, en me rappelant que j’égarais aussi mes clés à 20ans!»

La version française de Bolder. Making the Most of our Longer Lives paraîtra en septembre 2019 aux Éditions Marabout.

Pour avoir du succès dans le monde des start-ups, être jeune ne confère aucun avantage particulie­r. Au contraire : ce sont généraleme­nt les personnes de 4050 ans qui réussissen­t le mieux dans ce secteur. CARL HONORÉ

 ?? MADELEINE ALLDIS ?? Connu pour son ouvrage Éloge de la lenteur, le journalist­e canadien Carl Honoré s’intéresse au thème du vieillisse­ment dans un livre qui paraîtra à l’automne en français.
MADELEINE ALLDIS Connu pour son ouvrage Éloge de la lenteur, le journalist­e canadien Carl Honoré s’intéresse au thème du vieillisse­ment dans un livre qui paraîtra à l’automne en français.

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