ASSEZ D’HYPOCRISIE!. L’ÉDITORIAL DE JEAN-ROBERT SANFAÇON
Le Canada est en émoi depuis que le Globe and Mail a révélé que le bureau du premier ministre (BPM) Trudeau était intervenu auprès de la ministre de la Justice et procureure générale Jody Wilson-Raybould pour qu’elle applique au cas de SNC-Lavalin la nouvelle disposition du Code criminel autorisant la négociation d’un « accord de réparation » en lieu et place d’un procès criminel. Le BPM a-t-il exercé des pressions indues sur la ministre, comme le prétend l’opposition, ou s’est-il contenté de lui suggérer d’opter pour cette procédure instituée précisément pour sauver SNC ? La nuance est importante puisque, règle générale, le politique ne doit pas intervenir dans le judiciaire.
Il existe des cas comme celui-ci où la jurisprudence et le gros bon sens imposent qu’un ministre de la Justice consulte ses collègues et même des experts externes avant de prendre une décision aux conséquences importantes pour le pays.
Répétons la question de départ: le BPM a-t-il exercé une pression indue sur Mme Wilson-Raybould ? M. Trudeau répond que non, mais l’opposition ne le croit évidemment pas.
Hier, à la demande du NPD, le commissaire à l’éthique, Mario Dion, a annoncé qu’il enquêterait. Fort bien, mais cela ne réglera pas le fond du problème.
Si pressions il y a eu, la ministre n’y a pas donné suite puisque SNC est toujours accusée de corruption dans le cadre de ses activités en Libye. Ce qui laisse croire qu’elles n’étaient pas aussi « indues » qu’on veut le laisser croire… ou que Mme Wilson-Raybould n’a pas bien saisi l’importance du message, puisqu’elle a été rétrogradée quelques semaines plus tard.
Pour les commentateurs du Canada anglais et pour l’opposition à Ottawa, M. Trudeau a eu tort de vouloir influencer sa ministre de la Justice. Ils ont raison, mais quelle hypocrisie tout de même ! En fait, nos collègues de Toronto aimeraient bien empêcher politiquement le gouvernement Trudeau de sauver ce géant québécois aux prises avec des problèmes qu’il s’est lui-même infligés, il faut le dire. Mais pourquoi punir ses milliers d’employés alors que les coupables sont ses anciens dirigeants ?
Depuis que des scandales de corruption ont été mis au jour, SNC-Lavalin a fait un grand ménage et poursuit au civil ses anciens patrons congédiés. En étant reconnue coupable, SNC ne pourrait plus participer aux appels d’offres du fédéral. Qui en profitera sinon les autres grandes sociétés canadiennes comme la torontoise Aecon, dont Ottawa vient tout juste de bloquer l’acquisition par une société chinoise ? Le Canada anglais s’est-il scandalisé d’une telle intervention gouvernementale dans l’économie de marché? Au contraire, on a applaudi au « sauvetage » d’Aecon.
Et quand Ottawa a exclu le chantier maritime Davie des 60 milliards de dollars de contrats de construction de bâtiments militaires, le ROC a simplement trouvé normal que ces brouillons de Québécois soient tassés.
Vu de toutes les capitales au pays, le Québec est non seulement une province capricieuse et gâtée, mais surtout très corrompue. Comme si le favoritisme et la corruption faisaient partie de notre code génétique. La réalité est que le Canada anglais et sa presse « nationale » aiment se regarder penser dans le miroir déformant de l’autosatisfaction. À quand des enquêtes sur la corruption pratiquée en Amérique du Sud et en Afrique par les dizaines de sociétés minières inscrites à la bourse de Toronto pour profiter du laxisme des lois canadiennes ?
Plus honnêtes nos voisins canadiens ? Certainement pas. Seulement plus sûrs de leur domination sur la vie politique et économique canadienne, sauf en territoire gaulois. Alors, quand on peut empêcher les politiciens fédéraux d’intervenir en faveur du Québec, on ne se gêne pas, même si on doit utiliser des moyens détournés.
Qu’on punisse les ex-dirigeants corrompus de SNC, soit — et on ne redira jamais assez notre frustration devant l’entente ridicule intervenue il y a quelques jours entre les procureurs du Québec et ceux de l’ex-p.-d.g., Pierre Duhaime. Mais cela ne justifie pas la perte d’un siège social et d’une grande société dont le Québec, et le Canada, a toujours besoin.
Dans une entrevue accordée à CTV, dimanche, le nouveau ministre de la Justice à Ottawa, David Lametti, a laissé entendre que des négociations étaient toujours possibles entre son ministère et SNC-Lavalin, sans pour autant préciser si cela se fera. Passage obligé, de telles négociations ne pourraient conduire qu’au versement de plusieurs centaines de millions en dédommagement punitif de la part de SNC, mais c’est là la seule issue acceptable pour éviter que cette grande société québécoise soit acculée à un démantèlement dont nous ferions tous les frais.
La réalité est que le Canada anglais et sa presse « nationale » aiment se regarder penser dans le miroir déformant de l’autosatisfaction