Un peu plus d’humanité
Le Québec est et doit demeurer une terre d’accueil. Cela n’a pas toujours été sans débats difficiles, notamment concernant le français comme langue d’intégration des nouveaux arrivants. Mais la société québécoise a su développer les consensus nécessaires pour réussir à confirmer dans l’espace public la légitimité de ses aspirations. Notre société, comme beaucoup d’autres, continue de s’interroger, avec raison d’ailleurs, sur sa capacité réelle d’ouverture à l’immigration ; sur les ressources requises en matière d’intégration des immigrants ; sur leurs besoins et les meilleurs moyens pour répondre à leurs aspirations. Elle peut et doit également pouvoir tout aussi légitimement s’interroger sur les besoins et les attentes de la société d’accueil à leur égard.
La volonté du gouvernement actuel du Québec de traduire dans une politique et un projet de loi sa propre vision de ces enjeux, et les réponses qu’il souhaite y apporter, est non seulement normale, mais aussi devenue nécessaire. Mais le gouvernement doit se rappeler que ce débat demeure complexe, délicat et difficile ; qu’il soulève beaucoup d’émotions et de préjugés ; que les contradicteurs de sa politique seront nombreux ; nombreux également ceux qui voudront profiter de ce débat pour étaler leurs préjugés à l’égard du Québec.
Malheureusement, la récente décision du ministre de l’Immigration de déclasser la totalité des demandes déjà reçues à son ministère risque de leur donner inutilement des arguments, détournant le débat nécessaire sur la politique annoncée, et risquant de déstabiliser toute la démarche du gouvernement. Compte tenu des enjeux, difficile d’imaginer que les fonctionnaires de son ministère ne puissent aider le ministre à trouver à ce défi administratif une réponse plus humaine, plus satisfaisante, quitte à étaler dans le temps les réformes souhaitées.
Aussi convaincu soit-il de la justesse de sa vision pour l’avenir, le gouvernement ne peut faire table rase des contraintes héritées du passé. D’autant plus qu’au-delà des problématiques administratives, il s’agit ici de la vie d’hommes, de femmes et d’enfants qui, de bonne foi, ont suivi les étapes que nous leur avions fixées et qui ont toutes les raisons d’espérer une autre attitude du Québec à leur égard. Les Québécois ont la maturité démocratique requise pour faire avec ouverture et sérénité le débat relatif aux enjeux de l’immigration chez nous ; mais ils seraient sûrement plus fiers et plus sereins de faire ce débat en sachant que leur gouvernement a su, en leur nom, faire preuve de toute l’humanité attendue dans les circonstances. Robert Perreault, ex-ministre de l’Immigration au Québec