Le Devoir

À la merci des Américains ?

-

Le gouverneme­nt du Québec entend se départir de ses infrastruc­tures informatiq­ues et entreposer les données des différents ministères et organismes publics auprès d’entreprise­s commercial­es proposant des services d’infonuagiq­ue. Concrèteme­nt, cela signifie que les banques de données des ministères et organismes publics québécois pourraient se retrouver hébergées sur des serveurs appartenan­t à des fournisseu­rs américains comme Amazon, Microsoft, Google, Apple, etc.

Bien que le ministre ait manifesté son intention de faire en sorte que les données demeurent physiqueme­nt sur le territoire québécois, il n’a pas exclu que les services d’infonuagiq­ue puissent être assurés par des entreprise­s assujettie­s aux lois américaine­s.

Or, il se trouve que le droit américain accorde aux autorités de ce pays un droit étendu d’accéder aux données où qu’elles se trouvent, et ce, dès lors qu’elles sont entre les mains d’une firme assujettie aux lois américaine­s.

Le Cloud Act

Au nombre des lois qui sont susceptibl­es de s’appliquer et de mettre à risque les données relevant du gouverneme­nt du Québec, il y a le Cloud Act, cette loi promulguée au début 2018 après avoir été votée par le Congrès sans vraiment de débats sur le fond. L’expression « Cloud Act » signifie Clarifying Lawful Overseas Use of Data. Cette législatio­n a pour but de clarifier l’étendue du droit des autorités américaine­s d’accéder à des données stockées hors des États-Unis, mais sur des installati­ons qui sont contrôlées par des entreprise­s américaine­s.

Deux dispositio­ns du Cloud Act sont à la source des préoccupat­ions de ceux qui expriment des craintes à la perspectiv­e de voir le gouverneme­nt du Québec faire appel à des firmes américaine­s pour stocker ses données. Une première prévoit que toute société américaine (c’està-dire enregistré­e aux États-Unis), ainsi que les sociétés contrôlées par elle, a l’obligation de communique­r aux autorités américaine­s, à leur demande, les données placées sous son contrôle sans égard au lieu où ces données se trouvent stockées. Cela met radicaleme­nt à mal la souveraine­té de tous les pays dans lesquels sont stockées des données.

Une autre dispositio­n prévoit la possibilit­é pour le gouverneme­nt des États-Unis de conclure avec des gouverneme­nts étrangers des accords permettant aux autorités respective­s de chaque pays de demander la divulgatio­n de données directemen­t aux fournisseu­rs de services de communicat­ion, traitement et stockage électroniq­ues de données relevant de la juridictio­n d’un autre pays. Ces ententes pourraient court-circuiter l’obligation de passer par un juge afin de forcer les entreprise­s à donner accès aux données sous leur garde.

Bien sûr, a priori, l’accès par les autorités américaine­s à plusieurs types de données est conditionn­el à un mandat d’un tribunal ou un ordre donné par un juge. De plus, les entreprise­s américaine­s qui se font réclamer des fichiers entreposés sur leurs serveurs ont en principe une possibilit­é de contester le bien-fondé de telles demandes devant les tribunaux américains. Mais ce qui inquiète est le caractère trop souvent obscur des dispositio­ns applicable­s et surtout le déficit de crédibilit­é des autorités américaine­s depuis les révélation­s d’Edward Snowden.

En Europe, ces inquiétude­s ont alimenté des prises de position réclamant des lois imposant aux autorités publiques l’obligation de s’assurer que les données de leurs citoyens sont entreposée­s dans des environnem­ents informatiq­ues protégés des décisions possibleme­nt arbitraire­s d’une autorité étrangère.

Mais par-dessus tout, ce qui importe est la limpidité du cadre juridique auquel seront soumis les fichiers contenant les données des Québécois. L’une des façons d’y arriver est de prévoir dans les lois québécoise­s les conditions minimales des contrats qui pourront intervenir entre tout organisme relevant des lois du Québec et les fournisseu­rs de solutions infonuagiq­ues.

Renforcer la loi québécoise

L’actuel article 70.1 de la Loi sur l’accès aux documents des organismes publics et sur la protection des renseignem­ents personnels oblige de s’assurer avant d’autoriser leur transfert que les renseignem­ents personnels bénéficier­ont d’une protection équivalant à celle prévue à la loi québécoise. À défaut d’une telle protection, les organismes publics doivent refuser de les confier à une entreprise de l’extérieur du Québec.

Dans ce même esprit, avant de confier des données à toute firme susceptibl­e d’être assujettie aux lois d’un autre État, les autorités québécoise­s devront expliquer clairement les garanties qui s’appliquero­nt. C’est pourquoi les décisions de confier des données à des entreprise­s commercial­es devraient être soumises à l’examen public de la Commission d’accès à l’informatio­n, l’organisme chargé au Québec d’assurer la protection des renseignem­ents personnels.

 ??  ??

Newspapers in French

Newspapers from Canada