Une biennale d’hiver à l’accent britannique
Le commissaire Jonathan Watkins propose une Manif d’art 9 teintée d’environnement
L’homme court les biennales depuis de nombreuses années, a même été le commissaire de plusieurs d’entre elles (Sydney, Shanghai, Charjah, aux Émirats arabes unis…). L’avis de Jonathan Watkins, on peut donc s’y fier, et selon lui, celle de Québec, la Manif d’art, « est la biennale la plus froide du monde ». Difficile de le contredire.
Le Britannique expérimenté, directeur de la Ikon Gallery de Birmingham, est à Québec depuis trois semaines à titre de commissaire de Manif d’art 9, qui s’ouvre dans quelques jours — le 16 février. Il est de fait le premier non-francophone à concevoir la programmation de l’événement né en l’an 2000.
Et c’est avec une thématique toute poétique, portée par un titre tiré de la langue de Leonard Cohen, qu’il propose de regarder l’art, et la planète. Avec Si petits entre les étoiles, si grands contre le ciel (extrait de Story of the Street), le commissaire a voulu traiter d’environnement — « une question incontournable », dit-il — de manière « complexe », entre les sonnettes d’alarme et les doses d’émerveillement.
« C’est plus intéressant une chute [d’eau], dit-il en utilisant le mot en français, que de regarder de l’art. Je veux souligner que l’art n’a pas le monopole de la beauté. »
Rencontré dans le hall du Musée national des beaux-arts du Québec (MNBAQ), gîte de l’exposition centrale de la Manif, Jonathan Watkins a un flegme bien britannique, la voix posée, docile. On est pourtant à la veille de la visite de presse et, à la vue des salles du pavillon Lassonde du musée, la Manif n’est pas prête.
« Je suis touché et flatté d’avoir été invité. Je comprends qu’un anglophone, ici, c’est un peu spécial », confie-t-il. Il a découvert Québec lors de la précédente Manif, en 2017, et a été séduit par tout ce qui le rapproche et l’éloigne des locaux. Tel un faux frère, qui constate l’écart entre lui et ces jeunes Québécois qui lui disent croire que, sur les pièces de monnaie, c’est la reine Victoria qui figure.
«En matière de diversité, Québec n’est ni New York ni Londres, mais on trouve ici un tel mélange de français, de Commonwealth britannique, de Premières Nations ! » s’exclame-t-il.
Les artistes autochtones, dans cette 9e Manif, seront fort nombreux, d’ailleurs. Chez cet « Européen blanc » aux yeux bleus, s’attacher aux Premières Nations, qu’il découvre à peine, est tout à fait naturel. Puisqu’il s’intéresse aux cultures autochtones du monde, notamment les Samis de Scandinavie, depuis des années, ne voyez pas dans son approche de l’appropriation, prévient-il.
« Les cultures autochtones ne proviennent pas de lieux artistiques. Le concept d’art est différent, ce n’est pas comme on l’entend. Travailler ici était une trop belle occasion pour [ne pas inclure des artistes des Premières Nations]. Entre eux et les Scandinaves, il y a plus de résonances que je ne l’imaginais. Le paysage, le climat… » énumère-t-il.
Parmi les artistes autochtones retenus par Watkins figurent Manasie Akpaliapik, connu pour ses sculptures en os de baleine, et Shuvinai Ashoona, auteure de dessins mêlant quotidien et mythologie. De Suède, le commissaire amène Britta Marakatt-Labba, auteure de broderies.
Jonathan Watkins a sélectionné une quarantaine d’artistes, vingt d’entre eux
En matière de diversité, Québec n’est ni New York ni Londres, mais on trouve ici un tel mélange de français, de Commonwealth britannique, de
» Premières Nations ! JONATHAN WATKINS
étant exposés au MNBAQ, les autres étant dispersés en solo, soit en une douzaine de sites, soit dans l’espace public. Malgré tout son bagage, il affirme que c’est Québec qui a tout déterminé.
« Le thème de la biennale découle de la ville. Je me suis inspiré de Québec, la nature, les lieux », dit le commissaire, notant qu’il a été guidé par son flair. Placer à la Villa Bagatelle deux artistes britanniques, George Shaw et Thomas Bewick, celui-ci tiré du XVIIIe siècle, s’est décidé sans savoir que la maison patrimoniale avait des origines britanniques.
À l’instar des Européens de l’art contemporain qui débarquent au Québec, Jonathan Watkins est fasciné par le nombre de nos centres d’artistes autogérés, un « puissant réseau » sans pareil, selon lui. Qu’ils soient axés sur la production, pas juste sur la diffusion, et qu’ils se complètent par leur spécialisation fait de ces centres un pôle fascinant qui donne, à Québec du moins, sa vitalité.
D’après lui, le MNBAQ gagne beaucoup à s’associer à la Manif, un événement enraciné dans les centres d’artistes. Il faut préciser que la Biennale de Québec a aussi gagné dans cette association. Le soutien du musée ne se traduit pas seulement en ressources humaines et logistiques, il permet aussi des économies.
« Les ressources investies dans la biennale par le MNBAQ libèrent des fonds du côté de Manif d’art, qui peut ainsi réinvestir dans les autres volets de la biennale sans que l’exposition centrale ou la biennale perdent en qualité », précise-ton, du côté des organisateurs.
Quoi qu’il en soit, le commissaire invité a joué avec la double réalité. Il se dit choyé d’avoir pu bénéficier non seulement de l’expertise des centres d’artistes, mais de leur bassin de créateurs pour en intégrer quelques-uns dans sa sélection. C’est le cas de Caroline Gagné, d’Amélie Laurence Fortin ou de Fanny Mesnard.
« Je travaille sur le thème du memento mori [souviens-toi que tu vas mourir], en trois temps. Je dis adieu à un territoire, celui de mon chalet, j’en découvre un que je ne connais pas, les îles de la Madeleine, et je retournerai à un autre pour la deuxième fois, Winnipeg », dit Fanny Mesnard pour expliquer son rapport au thème de la Manif. Son projet, mêlant céramiques et peintures colorées et fantastiques sur fond d’« abondance de végétaux », était le seul prêt mardi. Mais tempête ou pas, la Manif d’hiver débutera cette semaine.
Manif d’art 9
Musée national des beaux-arts du Québec et divers lieux, du 16 février au 21 avril
Jérôme Delgado était à Québec à l’invitation de la Manif d’art.