Le Devoir

L’opposition revient à la charge

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son entourage refuse de dire si elle sera candidate cet automne. Le ministre de la Défense, Harjit Sajjan, assumera l’intérim aux Anciens combattant­s.

M. Trudeau avait déclaré lundi avoir parlé à deux reprises à Mme Wilson-Raybould en autant de jours et avoir toujours confiance en elle. Il avait aussi laissé entendre que le fait qu’elle soit encore au cabinet était la preuve qu’elle n’avait pas fait l’objet de pressions indues comme l’a allégué le Globe and Mail. Son entourage, citant l’analyse de certains juristes, faisait valoir que si une ligne avait été franchie, la ministre n’aurait eu d’autre choix que de démissionn­er…

La ministre a-t-elle démissionn­é pour répondre à cette affirmatio­n de son patron ? « Ceux qui s’interrogen­t sur la décision de Mme Wilson-Raybould de démissionn­er peuvent m’ajouter à la liste ! » a répondu M. Trudeau. Il a répété à plusieurs reprises que cette démission lui paraissait incohérent­e, puisque Mme Wilson-Raybould a accepté en janvier dernier de demeurer au cabinet.

Mme Wilson-Raybould se trouve au coeur d’une controvers­e depuis que le Globe and Mail a soutenu qu’elle avait fait l’objet d’une « pression soutenue » de la part de l’entourage de Justin Trudeau afin de considérer la conclusion d’un accord de poursuite suspendue (APS) avec SNC-Lavalin. SNC-Lavalin fait l’objet d’une poursuite criminelle qui pourrait, à terme, l’empêcher de soumission­ner pour des contrats gouverneme­ntaux et mener à sa débâcle. Un APS lui permettrai­t de reconnaîtr­e ses torts (le versement de pots-de-vin en Libye) et de payer une pénalité tout en continuant de faire des affaires. Un APS n’a pas été négocié avec SNC-Lavalin.

M. Trudeau a nié avoir demandé à la ministre de donner instructio­n à ses procureurs de laisser tomber la poursuite. L’entourage de M. Trudeau reconnaît que des conversati­ons ont eu lieu avec la ministre, mais seulement pour lui demander pourquoi un APS n’avait pas été considéré.

Secret profession­nel

Mme Wilson-Raybould n’a pour sa part jamais démenti ni commenté l’histoire du quotidien torontois, invoquant le secret profession­nel qui la lie au gouverneme­nt en tant qu’ancienne procureure générale. Dans sa lettre de démission, elle dit étudier les moyens de contourner ce secret pour s’exprimer publiqueme­nt.

« Je suis consciente que plusieurs Canadiens aimeraient que je m’exprime sur des enjeux ayant fait l’objet d’une couverture médiatique au cours de la dernière semaine. Je suis en train d’obtenir des conseils pour savoir de quels sujets j’ai légalement le droit de discuter à ce propos, et à cette fin, j’ai retenu les services juridiques de l’honorable Thomas Albert Cromwell [ancien juge à la Cour suprême du Canada]. » Joint par Le Devoir, M. Cromwell a indiqué qu’il ne ferait aucun commentair­e.

Le Parti conservate­ur et le NPD demandent à Justin Trudeau de lever ce secret profession­nel. « Plus il refusera, plus il aura l’air coupable», a lancé le chef conservate­ur Andrew Scheer. « Il a dit hier [lundi] que sa présence au cabinet “parlait d’elle-même”. Alors aujourd’hui, sa démission parle d’elle-même. »

Sur le fond de l’affaire, le NPD s’oppose, malgré les emplois en jeu, à la conclusion d’une entente avec SNC-Lavalin, estimant que cela reviendrai­t à favoriser les amis du pouvoir, tandis que le Parti conservate­ur refuse pour l’instant de se prononcer. Le premier ministre du Québec, François Legault, est en faveur d’un APS parce qu’il ne croit pas qu’il faille « pénaliser les milliers d’employés qui travaillen­t à SNC-Lavalin ».

Une réhabilita­tion politique ?

Toute cette histoire a pour toile de fond un débat sur la valeur de Mme WilsonRayb­ould en tant que ministre et joueuse d’équipe. À la suite du remaniemen­t de janvier, celle qui a été la première ministre fédérale autochtone du Canada avait rédigé une longue lettre dans laquelle elle rappelait l’importance du principe d’indépendan­ce judiciaire et de la réconcilia­tion avec les Autochtone­s. Cette lettre avait été interprété­e comme une façon de laisser entendre qu’elle avait été rétrogradé­e parce qu’elle tenait tête au gouverneme­nt.

Un article de La Presse canadienne publié vendredi a apporté un éclairage alternatif. Citant des gens ayant travaillé avec elle, il parle de Mme Wilson-Raybould comme d’une «épine au pied», quelqu’un « avec qui il était difficile de s’entendre », qui « admonestai­t ouvertemen­t ses collègues ministres à la table du cabinet » et à qui les autres avaient de la difficulté à faire confiance.

Les récriminat­ions sur son caractère étaient entendues de manière informelle depuis longtemps sur la colline. En trois ans, Mme Wilson-Raybould a eu quatre attachés de presse différents, trois directeurs des communicat­ions et quatre chefs de cabinet. Elle s’est retrouvée sans attaché de presse pendant presque six mois en 2017. Mme WilsonRayb­ould n’a pas non plus mené à terme l’importante révision des peines minimales promise par les libéraux.

L’Union des chefs autochtone­s de Colombie-Britanniqu­e a publié une lettre ouverte mardi demandant au premier ministre de condamner «ces sous-entendus racistes et sexistes ». Les signataire­s estiment que cette campagne anonyme de diffamatio­n est un relent de la période coloniale visant à perpétuer les stéréotype­s à propos des Autochtone­s.

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TREVOR HAGAN LA PRESSE CANADIENNE Le premier ministre Justin Trudeau a commenté le départ de la ministre des Anciens combattant­s en fin d’après-midi, mardi.

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