Le Devoir

Twitter, outil de manipulati­on

L’ingérence politique étrangère n’a pas épargné les débats canadiens en ligne

- FABIEN DEGLISE

La colère gronde et elle semble en partie attisée par des gouverneme­nts étrangers, y compris sur le territoire canadien où, dans les dernières années, de faux comptes Twitter ont été utilisés depuis l’Iran, la Russie ou le Venezuela pour amplifier des divisions sociales. C’est du moins ce qu’indique une analyse de 9,6 millions de tweets suspectés par la multinatio­nale américaine du microclava­rdage d’avoir contribué à des campagnes d’ingérence politique depuis des pays étrangers. Les projets de pipeline ainsi que la crise des réfugiés et l’immigratio­n ont servi de base à cette propagande numérique.

« Nous ne sommes pas les premiers à être touchés par ces ingérences dont il faut s’inquiéter au plus haut point, laisse tomber à l’autre bout du fil AnneMarie Gingras, professeur­e de sciences politiques à l’UQAM. La manipulati­on à grande échelle de l’opinion publique est un très grand problème qui vient affaiblir les démocratie­s occidental­es. »

Selon Radio-Canada et CBC, qui viennent de réaliser cette analyse, 21 600 de ces messages suspects ont ciblé directemen­t le Canada afin d’amplifier les débats négatifs, et ce, sur les pipelines Keystone XL et Kinder Morgan ainsi que sur la crise des réfugiés induite par les politiques d’immigratio­n de Donald Trump. Les faux comptes qui ont contribué à cette tentative de manipulati­on de l’opinion publique canadienne, y compris au Québec, ont été fermés par Twitter qui, le 3 février dernier, a mis en ligne les archives des échanges auxquels ils ont participé.

Ainsi, à partir de 2013, plus de 200 de ces faux comptes Twitter ont relayé des messages d’activistes, de politicien­s ou de médias canadiens, dont CBC et le Globe and Mail, sur les éventuels impacts environnem­entaux des projets de pipelines, mais aussi sur l’opposition citoyenne à ces projets. L’objectif étant de donner de l’ampleur aux composante­s négatives du débat sur ce réseau social.

D’autres faux comptes ont également été mis à contributi­on pour faire résonner davantage sur ce réseau les craintes exprimées face à la vague d’immigrants et de réfugiés en provenance des États-Unis, au lendemain de la tuerie à la mosquée de Québec, mais aussi dans la foulée des déclaratio­ns du président Trump contre les citoyens de certains pays musulmans. L’analyse a fait apparaître également la propagatio­n de théories conspirati­onnistes et de fausses informatio­ns, particuliè­rement sur l’arrestatio­n fabulée d’Hillary Clinton et son procès imminent devant un tribunal militaire, ou encore sur les intentions de Donald Trump d’amorcer un coup d’État interne pour faire le ménage dans le Deep State, l’État profond. Ces délires seraient véhiculés par un représenta­nt anonyme du gouverneme­nt Trump répondant au surnom de « Q » et agissant sur le réseau anonyme 8chan.

Par ce jeu d’influences, facilité par une communicat­ion de plus en plus émotive désormais en réseau, certains États autoritair­es « s’attaquent à l’image des sociétés occidental­es pour la rendre moins attrayante », mais aussi pour faire la démonstrat­ion que les démocratie­s occidental­es sont corrompues ou ne fonctionne­nt pas, résume Mme Gingras. « Cela facilite le jeu de plusieurs de ces États sur la scène internatio­nale », dit-elle.

La manipulati­on de l’opinion par des intérêts étrangers est prise très au sérieux par Ottawa, particuliè­rement à l’approche du prochain scrutin fédéral. Le gouverneme­nt vient de mettre en place le Groupe de travail sur les menaces en matière de sécurité et de renseignem­ent visant les élections (MSRE), auquel le Service canadien du renseignem­ent de sécurité (SCRS), la Gendarmeri­e royale du Canada (GRC) et le Centre de sécurité des télécommun­ications (CST) vont entre autres prendre part.

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