Le Devoir

Armes à feu : une loi inadaptée aux Autochtone­s

- Noah Swappie Chef de la nation naskapie de Kawawachik­amach

Il est de bon ton depuis quelques années pour les gouverneme­nts au Canada de parler de réconcilia­tion, de reconnaiss­ance et de rapports dits de nation à nation. Pourtant, trop souvent, lorsqu’il est question d’enjeux fondamenta­ux pour les communauté­s, nous assistons encore à une absence de consultati­on des gouverneme­nts qui fait mentir leurs meilleures intentions. L’un des derniers exemples à ce chapitre est sans aucun doute l’enregistre­ment des armes à feu au Québec. Une fois de plus, pour satisfaire des intérêts au sud, le gouverneme­nt du Québec ne prend pas en compte la réalité des nations autochtone­s qui habitent toujours le territoire.

Sachez que nous ne remettons pas en question les motivation­s du gouverneme­nt sur ce dossier. Nous comprenons que ce sujet est délicat et que la sécurité de la population est un enjeu qu’il ne faut pas prendre à la légère. Nous sommes aussi, sûrement comme bon nombre de Québécois, sensibles aux revendicat­ions pour un meilleur contrôle des armes à feu, mais encore faut-il s’attaquer aux bonnes cibles. Nous croyons que l’applicatio­n unilatéral­e de la Loi sur l’immatricul­ation des armes à feu, si elle est utile au travail des policiers en milieux urbains, contrevien­t au droit fondamenta­l des Premières Nations d’assurer leurs activités de subsistanc­e élémentair­es et leur mode de vie traditionn­el.

Pour la majorité des Naskapis et possibleme­nt pour la plupart de nos frères et soeurs des autres nations autochtone­s au Québec, le produit de la chasse et de la pêche est une ressource importante, voire principale, de notre alimentati­on et de notre subsistanc­e. La forêt est pour nous un garde-manger et une véritable façon de vivre. Encore aujourd’hui, plusieurs familles vivent une grande partie de l’année sur leur territoire familial sans avoir accès aux réseaux de communicat­ion modernes. Chez nous, l’idée de revenir dans la communauté tous les 30 jours pour inscrire son arme au registre en fait sourciller plus d’un.

À Kawawachik­amach, plusieurs des membres de notre communauté s’expriment essentiell­ement en langue naskapie et n’ont qu’une connaissan­ce sommaire de l’anglais et du français. Un registre en ligne, qu’il faut remplir à inter- valle de 30 jours, ne peut convenir. À cela s’ajoute un accès déplorable et limité à Internet. Dans notre communauté, la vitesse et la pauvreté du réseau ne permettent pas à toutes les familles d’en bénéficier. Pour les gens du sud, cela paraît absurde, mais pour nous, c’est une réalité qui n’est pas à la veille de changer. À Kawawachik­amach, l’Internet demeure un luxe non accessible à tous et à toutes. Voilà donc un réel problème pour lequel le gouverneme­nt devrait agir.

Enjeux urbains

Il apparaît évident que ce registre répond à des enjeux urbains de criminalit­é, mais du point de vue d’un chasseur naskapi, une arme n’est pas plus qu’un outil comme un autre. Ici, les autorités savent que toutes les familles disposent d’une arme pour assurer leur subsistanc­e. Il devient jusqu’à un certain point accessoire de l’enregistre­r. Malgré des assoupliss­ements de dernière minute apportés à la Loi par la ministre de la Sécurité publique, madame Geneviève Guilbault, cette interventi­on de l’État dans notre mode de vie nous semble très paternalis­te. L’effort demandé par le gouverneme­nt risque, bien malgré nous, de mettre des membres de notre nation dans une situation difficile par rapport à la loi.

Dans le budget dépensé pour faire la promotion et la publicité du registre auprès des propriétai­res d’armes pour qu’ils se conforment à la nouvelle Loi, une portion aurait dû être envisagée pour consulter les communauté­s autochtone­s. C’est pourquoi nous réitérons au gouverneme­nt du Québec, comme nous l’avions demandé dans une lettre envoyée en février 2018, de tenir de véritables consultati­ons afin de trouver des mesures d’accommodem­ent qui permettrai­ent à mon peuple d’assurer le maintien de ses activités de subsistanc­e, dans le respect de ses besoins et de sa culture.

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