Le Devoir

Le Brexit, le canari dans la mine de la mondialisa­tion, dit Mark Carney

Plus de 600 000 emplois seraient menacés ailleurs dans le monde, y compris au Canada

- ÉRIC DESROSIERS Avec l’Agence France-Presse et le Financial Times

Sorte de « canari dans la mine » sur l’état du nouvel ordre mondial, le RoyaumeUni et son Brexit s’apprêtent à passer une « épreuve de vérité » qui « pourrait très mal tourner», et pas seulement pour l’économie britanniqu­e, a prévenu mardi le gouverneur de la Banque d’Angleterre, Mark Carney.

« Nous ne sommes plus qu’à 45 jours d’un possible [Brexit dur], a rappelé l’ancien gouverneur de la Banque du Canada lors d’un discours devant des représenta­nts de la City de Londres. Ne nous faisons aucune illusion. et enverrait un signal à la planète sur nos perspectiv­es de refondatio­n de la mondialisa­tion » sur des bases plus justes et durables.

Au coeur du divorce entre le RoyaumeUni et l’Union européenne, a dit Mark Carney, se trouve la recherche d’un nouveau compromis entre le contrôle démocratiq­ue national et la coopératio­n économique internatio­nale. Or, si le Brexit devait être vu aujourd’hui comme le proverbial canari dans la mine quant à l’état du nouvel ordre mondial, le banquier central note que «l’oiseau repose au fond de la cage, mais il bouge encore ».

Tic tac, tic tac

Censée venir présenter au Parlement britanniqu­e les fruits de ses nouvelles tractation­s auprès des autorités européenne­s, la première ministre britanniqu­e, Theresa May, a déclaré aux députés qu’elle avait encore « besoin de temps » pour obtenir des modalités de divorce qui leur conviendra­ient mieux.

Depuis le rejet massif d’un premier accord de retrait par les députés en janvier, la dirigeante conservatr­ice tente de rouvrir les négociatio­ns avec Bruxelles pour élaborer une nouvelle version du texte, mais se heurte au refus européen, tandis que la date du Brexit, prévu le 29 mars, se rapproche dangereuse­ment. « Après nous être mis d’accord avec l’UE sur des discussion­s supplément­aires, nous avons à présent besoin de temps pour achever ce processus », a-t-elle affirmé devant la Chambre des communes.

Le chef de l’opposition travaillis­te, Jeremy Corbyn, a accusé avec virulence la chef du gouverneme­nt de «jouer la montre » pour laisser les députés sans autre solution à l’approche de l’échéance et ainsi les forcer à soutenir son accord initial « extrêmemen­t imparfait », afin d’éviter le scénario redouté d’une sortie sans accord.

La City de Londres, le lobby financier londonien, a appelé de son côté à faire « des progrès dans l’intérêt national » : « les responsabl­es politiques ont peutêtre l’habitude de conclure des accords à la dernière minute, mais les entreprise­s ne peuvent se permettre d’attendre jusque-là », souligne-t-elle dans un communiqué.

Brouillard menaçant

Déjà moroses, les milieux d’affaires ont eu droit à une douche froide lundi en apprenant que l’économie britanniqu­e a ralenti encore plus que prévu l’an dernier. Plombée notamment par l’effet du climat d’incertitud­e sur l’investisse­ment des entreprise­s et la consommati­on des ménages, la croissance économique a ainsi reculé de 1,8 % à 1,4 % en 2018, son plus faible niveau depuis 2012. Mark Carney avait déjà frappé les esprits, jeudi, en évoquant « le brouillard du Brexit» comme l’une des raisons d’une révision à la baisse de ses prévisions de croissance pour cette année, à son niveau le plus faible depuis la dernière crise (1,2 %) et en estimant à 25 % la probabilit­é d’une nouvelle récession.

Il n’y a pas que les entreprise­s britanniqu­es qui devraient se préparer au pire. Un Brexit dur menacerait plus de 600 000 emplois dans une quarantain­e de pays, dont le Canada, a estimé lundi une étude de l’Institut allemand Halle pour la recherche économique.

Simulant l’impact d’un tarif douanier de 25 % sur les importatio­ns au RoyaumeUni de biens et services provenant de l’Europe, l’étude conclut que l’Allemagne serait la plus touchée avec plus de 100 000 emplois directs et indirects concernés, mais qu’elle ne serait pas la seule. D’autres pays européens, comme la France ( 50 000) et la Pologne (47 000), en feraient aussi les frais, tout comme des pays non européens, comme la Chine (60 000) et les États-Unis (16 000).

Un Brexit dur ne nuirait pas seulement aux entreprise­s européenne­s exportant directemen­t au Royaume-Uni, ont expliqué les auteurs de l’étude. Il toucherait aussi leurs fournisseu­rs locaux et étrangers. Même le Canada serait concerné, estime l’Institut Halle, avec 1400 emplois indirectem­ent touchés, notamment dans l’agricultur­e et les services aux entreprise­s.

Mais la situation actuelle ne fait pas que des malheureux, a rapporté lundi l’Agence néerlandai­se pour les investisse­ments étrangers. Plus d’une quarantain­e d’entreprise­s et d’organisati­ons représenta­nt près de 2000 emplois et 300 millions d’euros en investisse­ments ont déménagé leurs pénates du Royaume-Uni aux Pays-Bas, l’an dernier, en raison du Brexit. C’était deux fois plus que l’année d’avant et six fois moins que les 250 entreprise­s qui envisagent de faire de même après le divorce britanniqu­e. « Il s’agit principale­ment d’entreprise­s britanniqu­es, a expliqué l’agence dans un communiqué, mais aussi d’organisati­ons américaine­s et asiatiques [et même canadienne­s] qui repensent leur structure européenne actuelle en raison des incertitud­es liées au Brexit. »

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HANNAH MCKAY POOL AGENCE FRANCE-PRESSE « Un Brexit sans accord négocié serait un choc pour l’économie», a rappelé mardi Mark Carney, le gouverneur de la Banque d’Angleterre.

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