Le Brexit, le canari dans la mine de la mondialisation, dit Mark Carney
Plus de 600 000 emplois seraient menacés ailleurs dans le monde, y compris au Canada
Sorte de « canari dans la mine » sur l’état du nouvel ordre mondial, le RoyaumeUni et son Brexit s’apprêtent à passer une « épreuve de vérité » qui « pourrait très mal tourner», et pas seulement pour l’économie britannique, a prévenu mardi le gouverneur de la Banque d’Angleterre, Mark Carney.
« Nous ne sommes plus qu’à 45 jours d’un possible [Brexit dur], a rappelé l’ancien gouverneur de la Banque du Canada lors d’un discours devant des représentants de la City de Londres. Ne nous faisons aucune illusion. et enverrait un signal à la planète sur nos perspectives de refondation de la mondialisation » sur des bases plus justes et durables.
Au coeur du divorce entre le RoyaumeUni et l’Union européenne, a dit Mark Carney, se trouve la recherche d’un nouveau compromis entre le contrôle démocratique national et la coopération économique internationale. Or, si le Brexit devait être vu aujourd’hui comme le proverbial canari dans la mine quant à l’état du nouvel ordre mondial, le banquier central note que «l’oiseau repose au fond de la cage, mais il bouge encore ».
Tic tac, tic tac
Censée venir présenter au Parlement britannique les fruits de ses nouvelles tractations auprès des autorités européennes, la première ministre britannique, Theresa May, a déclaré aux députés qu’elle avait encore « besoin de temps » pour obtenir des modalités de divorce qui leur conviendraient mieux.
Depuis le rejet massif d’un premier accord de retrait par les députés en janvier, la dirigeante conservatrice tente de rouvrir les négociations avec Bruxelles pour élaborer une nouvelle version du texte, mais se heurte au refus européen, tandis que la date du Brexit, prévu le 29 mars, se rapproche dangereusement. « Après nous être mis d’accord avec l’UE sur des discussions supplémentaires, nous avons à présent besoin de temps pour achever ce processus », a-t-elle affirmé devant la Chambre des communes.
Le chef de l’opposition travailliste, Jeremy Corbyn, a accusé avec virulence la chef du gouvernement de «jouer la montre » pour laisser les députés sans autre solution à l’approche de l’échéance et ainsi les forcer à soutenir son accord initial « extrêmement imparfait », afin d’éviter le scénario redouté d’une sortie sans accord.
La City de Londres, le lobby financier londonien, a appelé de son côté à faire « des progrès dans l’intérêt national » : « les responsables politiques ont peutêtre l’habitude de conclure des accords à la dernière minute, mais les entreprises ne peuvent se permettre d’attendre jusque-là », souligne-t-elle dans un communiqué.
Brouillard menaçant
Déjà moroses, les milieux d’affaires ont eu droit à une douche froide lundi en apprenant que l’économie britannique a ralenti encore plus que prévu l’an dernier. Plombée notamment par l’effet du climat d’incertitude sur l’investissement des entreprises et la consommation des ménages, la croissance économique a ainsi reculé de 1,8 % à 1,4 % en 2018, son plus faible niveau depuis 2012. Mark Carney avait déjà frappé les esprits, jeudi, en évoquant « le brouillard du Brexit» comme l’une des raisons d’une révision à la baisse de ses prévisions de croissance pour cette année, à son niveau le plus faible depuis la dernière crise (1,2 %) et en estimant à 25 % la probabilité d’une nouvelle récession.
Il n’y a pas que les entreprises britanniques qui devraient se préparer au pire. Un Brexit dur menacerait plus de 600 000 emplois dans une quarantaine de pays, dont le Canada, a estimé lundi une étude de l’Institut allemand Halle pour la recherche économique.
Simulant l’impact d’un tarif douanier de 25 % sur les importations au RoyaumeUni de biens et services provenant de l’Europe, l’étude conclut que l’Allemagne serait la plus touchée avec plus de 100 000 emplois directs et indirects concernés, mais qu’elle ne serait pas la seule. D’autres pays européens, comme la France ( 50 000) et la Pologne (47 000), en feraient aussi les frais, tout comme des pays non européens, comme la Chine (60 000) et les États-Unis (16 000).
Un Brexit dur ne nuirait pas seulement aux entreprises européennes exportant directement au Royaume-Uni, ont expliqué les auteurs de l’étude. Il toucherait aussi leurs fournisseurs locaux et étrangers. Même le Canada serait concerné, estime l’Institut Halle, avec 1400 emplois indirectement touchés, notamment dans l’agriculture et les services aux entreprises.
Mais la situation actuelle ne fait pas que des malheureux, a rapporté lundi l’Agence néerlandaise pour les investissements étrangers. Plus d’une quarantaine d’entreprises et d’organisations représentant près de 2000 emplois et 300 millions d’euros en investissements ont déménagé leurs pénates du Royaume-Uni aux Pays-Bas, l’an dernier, en raison du Brexit. C’était deux fois plus que l’année d’avant et six fois moins que les 250 entreprises qui envisagent de faire de même après le divorce britannique. « Il s’agit principalement d’entreprises britanniques, a expliqué l’agence dans un communiqué, mais aussi d’organisations américaines et asiatiques [et même canadiennes] qui repensent leur structure européenne actuelle en raison des incertitudes liées au Brexit. »