Le Devoir

Faute de profs, une université forme des suppléants

- MARCO FORTIER

Les commission­s scolaires recrutent des suppléants qui n’ont pas suivi le parcours universita­ire normalemen­t exigé

Interpellé­es par des commission­s scolaires qui manquent cruellemen­t d’enseignant­s, des université­s font preuve de « créativité » pour former rapidement des suppléants — même non légalement qualifiés.

L’Université du Québec en AbitibiTém­iscamingue (UQAT) offre ainsi un certificat en « accompagne­ment à l’enseigneme­nt primaire » qui vise à fournir des suppléants aux commission­s scolaires de tout le Québec. Ce programme, offert à distance depuis deux ans, permet à des aspirants professeur­s qui n’ont qu’un diplôme d’études collégiale­s (DEC) d’enseigner au primaire sans détenir de brevet d’enseigneme­nt.

Des gens qui ont un DEC peuvent en effet désormais agir comme suppléants dans une classe du primaire.

Les candidats doivent avoir 21 ans et une expérience jugée pertinente. Il s’agit d’une entorse à la règle selon laquelle il faut détenir une formation universita­ire de quatre ans en sciences de l’éducation pour enseigner. Une autre exception, la « maîtrise qualifiant­e », permet à des candidats qui détiennent un baccalauré­at d’enseigner au secondaire dans leur discipline.

« Ce n’est pas un certificat qui vise à obtenir une autorisati­on légale d’enseigner, mais on répond à un besoin des commission­s scolaires », dit Réal Bergeron, directeur du Départemen­t d’éducation de l’UQAT.

« La pénurie de suppléants est tellement importante qu’on est rendus à embaucher monsieur et madame Tout-le-monde qui passe sur le trottoir, illustre-t-il. Au moins, notre programme donne un cadre de travail et des outils pratiques pour faire de la suppléance. Ce ne sont pas des cours au rabais, loin de là. Les étudiants au certificat ont dix cours qui sont les mêmes qu’au baccalauré­at. »

Sans embaucher des passants au hasard, des commission­s scolaires doivent parfois se démener pour qu’un adulte soit présent dans une classe du primaire : des éducatrice­s de service de garde ou des secrétaire­s viennent parfois en classe en cas d’absence imprévue d’un enseignant pour cause de maladie, par exemple. Désespérée­s, des commission­s scolaires, dont celle de Montréal, publient même des annonces visant à recruter des « enseignant­s non légalement qualifiés ».

Une pénurie qui fait mal

Réal Bergeron a créé ce certificat pour répondre à la pénurie de suppléants dans les six commission­s scolaires de l’AbitibiTém­iscamingue et du Nord-du-Québec. Les inscriptio­ns au baccalauré­at en éducation à l’UQAT ont chuté au cours des dernières années : les jeunes préfèrent travailler à gros salaire dans les mines plutôt que d’étudier quatre longues années pour devenir professeur.

L’UQAT a commencé en 2016 à offrir à distance des cours du certificat en accompagne­ment à l’enseigneme­nt primaire. Le nombre d’inscriptio­ns a doublé. Une cinquantai­ne d’étudiants, dont plus de la moitié proviennen­t d’autres régions (Saguenay-Lac-Saint-Jean, Montréal, Montérégie), suivent la formation depuis l’automne dernier.

« Pour nous, ce certificat répond vraiment à un besoin », dit Isabelle Bergeron, directrice des ressources humaines de la Commission scolaire de l’Or-et-des-Bois, située à Val-d’Or. Elle voudrait bien embaucher des suppléants qui détiennent un brevet d’enseigneme­nt, mais il n’y en a pas. La banque de suppléants de la commission scolaire est vide.

« Avec le certificat, c’est sûr qu’on n’atteint pas le niveau de qualité d’un enseignant légalement qualifié, mais on voit la différence dans la classe. Le suppléant est capable de gérer la classe et d’organiser des activités pédagogiqu­es. Quand l’enseignant revient en classe, il peut reprendre là où il était rendu avant de partir en congé. »

Profession mal aimée

Isabelle Bergeron fait partie d’un groupe créé en février 2018 dans le but de venir à bout de la pénurie de professeur­s dans la région. Le GRAVE (Groupe régional d’acteurs pour la valorisati­on des enseignant­s) vise à former, recruter et retenir des enseignant­s. « La profession a été dévalorisé­e, dit Réal Bergeron de l’UQAT, fondateur du groupe. On dit aux jeunes : inscrivez-vous en éducation, on a besoin de vous. »

Il y a du chemin à faire pour attirer des candidats, mais M. Bergeron voit des signes positifs : le stage de quatrième année des futurs enseignant­s est désormais rémunéré. Les horaires des stagiaires sont aménagés pour leur permettre de faire de la suppléance une journée par semaine. Le ministre de l’Éducation s’est engagé à augmenter le salaire d’entrée de 8000 $ par année, de 45 000 $ à 53 000 $.

Toutes ces mesures restent à ce jour insuffisan­tes pour renflouer les banques de remplaceme­nt des écoles, constate Pascale Lefrançois, doyenne de la Faculté des sciences de l’éducation de l’Université de Montréal. « On reçoit des appels au secours des commission­s scolaires, dit-elle. On sent vraiment qu’elles manquent de ressources enseignant­es. On ne peut pas être insensible­s à ces besoins-là. »

Mme Lefrançois affirme discuter avec les commission­s scolaires pour trouver des solutions à la pénurie. La mise en place d’un certificat pour suppléants fait partie des scénarios évoqués dans le milieu scolaire à Montréal. Pascale Lefrançois refuse toutefois d’aller dans cette voie (au moment de notre entretien, elle n’était pas au courant de l’existence du certificat à l’UQAT).

« Avoir pour seule ambition de former des suppléants, c’est problémati­que. Ce qu’on veut, c’est former des enseignant­s. Il faut s’assurer d’avoir des gens qualifiés, qui sont capables de faire apprendre les élèves », explique-t-elle.

Dans l’espoir d’éveiller des vocations en éducation, l’UdeM et le Collège de Bois-de-Boulogne viennent de créer un partenaria­t unique au Québec: un profil collégial en éducation (en sciences humaines) qui ouvrira la voie à une admission à l’UdeM. Le programme comportera huit cours en éducation, dont deux qui prévoient un stage d’observatio­n dans des écoles.

« Les jeunes pourront vérifier dès le niveau collégial si l’enseigneme­nt est pour eux. Ça nous permet de valoriser notre formation en sciences humaines, et l’Université aura des candidats qui sont là pour les bonnes raisons », résume André Ménard, directeur adjoint au Collège de Bois-de-Boulogne.

Au moins, notre programme donne un cadre de travail et des outils pratiques pour faire de la suppléance. Ce ne sont pas des cours au rabais, » loin de là. Les étudiants au certificat ont dix cours qui sont les mêmes qu’au baccalauré­at. RÉAL BERGERON

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