L’humanité sélective
Tous les commentateurs avaient souligné les propos du premier ministre Legault lors de la présentation du cabinet, quand il avait invité ses ministres à exercer leurs fonctions « dans un esprit de proximité, d’humanité et d’ouverture ». Il disait même souhaiter que cela devienne la marque de commerce de son gouvernement. Avoir recruté Marguerite Blais et écarté Youri Chassin du Conseil des ministres était de nature à calmer certaines appréhensions, mais M. Legault était conscient des craintes que l’arrivée au pouvoir de la CAQ inspirait toujours à ceux qui voyaient en elle un parti idéologique obsédé par l’efficacité et le rendement, peu importe le prix que certains auraient à payer, particulièrement les plus démunis.
« L’appareil public doit exercer son bon sens et son humanité. On a vu trop souvent des décisions tatillonnes se transformer en petites tragédies parce qu’on avait évacué le bon sens et l’humanité », avait-il déclaré.
Force est de constater que le ministre de l’Immigration, de la Diversité et de l’Inclusion, Simon Jolin-Barrette, n’a pas saisi le message. Ou alors il s’est dit que les propos du premier ministre ne visaient qu’à faire impression. Chose certaine, le traitement que son projet de loi réserve aux 18 000 demandes d’immigration qui se sont accumulées depuis 2005 n’en respecte pas l’esprit.
Tout en reconnaissant la nécessité d’assainir les finances publiques, le chef de la CAQ se scandalisait du manque de sensibilité du gouvernement Couillard, dont les compressions budgétaires faisaient particulièrement mal aux enfants qui éprouvent des difficultés d’apprentissage et aux personnes âgées. Il semble toutefois que l’humanité caquiste ne concerne pas les candidats à l’immigration.
Même s’ils sont les premiers responsables de l’engorgement au ministère de l’Immigration, les libéraux n’allaient pas se priver de rendre la monnaie de leur pièce à ceux qui les ont accusés de tous les maux pendant des années. Depuis une semaine, la solution « inhumaine » et « cruelle » retenue par le gouvernement est le principal angle d’attaque de l’opposition à l’Assemblée nationale.
La radiation pure et simple de milliers de dossiers touchant plus de 50 000 personnes va assurément provoquer plusieurs de ces « petites tragédies » dont parlait M. Legault, surtout dans le cas de ceux qui sont déjà installés au Québec, parfois depuis plusieurs années, et qui se trouvent soudainement plongés dans l’incertitude.
Il ne fait pas de doute que le système doit être réformé pour assurer un traitement plus rapide des dossiers. Assurer un meilleur arrimage avec les besoins du marché du travail et diriger plus de nouveaux arrivants vers les régions sont des objectifs qui reviennent systématiquement dans les documents gouvernementaux publiés depuis plus de 25 ans.
La nécessité d’une meilleure coordination des ressources consacrées à l’intégration a également été constatée depuis longtemps, même si l’éparpillement est demeuré la règle. La fin ne justifie cependant pas tous les moyens.
Bien sûr, on ne parle pas ici de réfugiés qui croupissent dans des camps surpeuplés, où ils reçoivent le strict minimum nécessaire à leur survie, mais l’humanité ne consiste pas simplement à empêcher les gens de mourir.
La société québécoise ne cesse d’évoluer. Ceux qui ont fait une demande d’immigration il y a dix ans ne devaient pas nécessairement s’attendre à ce que leur candidature soit évaluée en fonction de la grille d’évaluation de l’époque. Si elle ne répondait pas aux besoins actuels, il aurait suffi de la rejeter, mais s’inspirer des méthodes de Stephen Harper est franchement gênant.
Certains vont sans doute conserver un goût amer de ce malheureux épisode et regarder ailleurs. Il ne faudrait cependant pas exagérer les dommages qui pourraient être causés à l’image internationale du Québec. Aux yeux de ceux qui font le choix de l’émigration, le niveau de vie et les perspectives d’emploi qu’il peut offrir vont demeurer des atouts considérables.
Il est néanmoins désolant qu’il ait fallu plusieurs jours à M. Jolin-Barrette avant de réaliser qu’à défaut de la traiter, la moindre des choses était de contacter personnellement les requérants dont la demande sera envoyée à la déchiqueteuse pour les informer des nouvelles priorités du Québec en matière d’immigration et de la marche à suivre s’ils désirent faire une nouvelle demande.
Se contenter de leur expédier un chèque de 1000 $ permettra peut-être d’éviter une sanction judiciaire, mais cela crée une impression de froideur que M. Legault semblait précisément vouloir éviter de donner à son gouvernement.
Dans l’immédiat, cela n’affectera sans doute pas la popularité du gouvernement. Certains estiment que le seul droit des immigrants est celui de dire merci. On se plaît néanmoins à croire que l’humanité fait partie des valeurs québécoises. Cette fois, le gouvernement n’a pas réussi le test.
La fin ne justifie pas tous les moyens. Bien sûr, on ne parle pas ici de réfugiés qui croupissent dans des camps surpeuplés, où ils reçoivent le strict minimum nécessaire à leur survie, mais l’humanité ne consiste pas simplement à empêcher les gens de mourir.