Qu’on l’entende !
Depuis que le Globe and Mail a fait état d’allégations d’une possible ingérence politique dans le dossier judiciaire de SNC-Lavalin, les péripéties se multiplient sans qu’on en sache davantage sur le fond de l’affaire. La démission mardi de la ministre des Anciens combattants, Jody Wilson-Raybould, n’a fait que compliquer l’écheveau. Pour l’instant, on sait bien peu de choses. En fait, à peu près rien. Les sources anonymes qui se sont confiées au Globe se limitent à affirmer qu’il y a eu pression indue l’automne dernier sur Mme Wilson-Raybould, alors ministre de la Justice, pour qu’elle incite la directrice des poursuites pénales à négocier un accord de poursuite suspendue (APS) avec SNC-Lavalin et lui éviter ainsi, contre conditions, un procès pour fraude et corruption. Mais des pressions exercées par qui au sein du bureau du premier ministre ? On l’ignore. Et de quelle nature ? On ne le sait pas non plus.
Peut-être qu’il ne s’est rien passé de compromettant, comme l’affirme le premier ministre, Justin Trudeau. Peut-être qu’il n’y a qu’un conflit d’interprétation autour des conversations tenues. Mais peut-être que, oui, des membres de l’entourage du premier ministre ont dépassé les bornes.
L’absence de réponses à ces questions ne fait qu’entretenir les soupçons. Il en va de même de la démission de Mme Wilson-Raybould au lendemain d’une déclaration de M. Trudeau selon laquelle sa présence au cabinet « parlait d’elle-même ». Que dire alors de sa démission ? Et pourquoi maintenant et pas à l’automne ou en janvier ? On se perd en conjectures, car elle n’a offert aucune explication. Mais peut-être estime-t-elle être tenue au silence par le secret qui lie un avocat à son client, d’où sa décision de faire appel à un ancien juge de la Cour suprême pour la conseiller à cet effet.
Le premier ministre, de son côté, a levé ce secret en partie en s’en prenant publiquement à Mme Wilson-Raybould, affirmant qu’elle n’avait pas fait état de problèmes l’automne dernier quand le cas de SNC-Lavalin a été discuté. Lever ce secret exige réflexion de la part du premier ministre, car ce n’est pas sans conséquence, mais il doit trouver une façon de donner à l’ancienne ministre la liberté de s’expliquer. Et de se défendre. Après tout, elle détient les réponses que tout le monde attend.
L’enquête entreprise par le commissaire à l’éthique Mario Dion prendra trop de temps pour faire la lumière rapidement. Or, le brouillard qui enveloppe la rétrogradation et la démission de Mme Wilson-Raybould et ces allégations de pressions indues doit être dissipé au plus tôt.
On espérait que le comité parlementaire de la justice le ferait, mais on peut en douter à la suite de la rencontre de mercredi. Les libéraux ont accepté d’aller de l’avant, mais ils veulent avant tout examiner des points de droit et les APS et leur liste préliminaire de trois témoins ne fait aucunement mention de Jody Wilson-Raybould. Ils ont dit être prêts à l’allonger, mais veulent en discuter en privé et ont rejeté une motion néodémocrate qui corrigeait leur omission.
À huit mois des élections, le danger est bien réel de voir la recherche de la vérité céder le pas à la partisanerie, ce dont on a eu un avant-goût mercredi. Les conservateurs se sont souvent livrés à un exposé sélectif des faits, alors que les libéraux, avec leur manoeuvre fort malhabile et difficile à justifier, ont seulement réussi à provoquer de nouvelles accusations de tentative de camouflage.
Comme l’a bien dit le bloquiste Rhéal Fortin, le but du comité est de vérifier s’il y a eu ou non des pressions politiques indues sur la procureure générale. Sans Jody Wilson-Raybould, déliée du secret, ce sera peine perdue, alors que la question est trop sérieuse pour rester en suspens.