Le Devoir

L’opération charme de Huawei connaît des ratés

Les efforts de la compagnie, qui commandite des événements sportifs et finance des université­s, sont menacés par le différend avec le Canada et les accusation­s américaine­s

- ASSOCIATED PRESS

Le sport national du Canada présenté par le géant chinois Huawei.

Alors que s’envenime une querelle diplomatiq­ue entre les deux pays à propos de la société de haute technologi­e, il n’est pas passé inaperçu que le logo en forme d’éventail rouge vif de Huawei est bien visible sur le plateau de Hockey Night in Canada. Les animateurs rappellent régulièrem­ent aux 1,8 million de téléspecta­teurs hebdomadai­res que des segments du programme sont « présentés par les téléphones intelligen­ts Huawei ».

Le message enjoué de l’entreprise contraste avec l’affronteme­nt provoqué par l’arrestatio­n de la directrice financière de Huawei, Meng Wanzhou, en vertu d’un mandat américain. Dans ce qui pourrait ressembler à des représaill­es, la Chine a arrêté deux Canadiens et envisage d’en exécuter un troisième — une tactique brutale qui, parce qu’elle donne à certains Canadiens l’impression que la société privée est une branche du gouverneme­nt chinois, confère une qualité surréalist­e à sa commandite.

L’accord télévisuel est l’un des nombreux exemples de la manière dont Huawei, le premier producteur mondial d’équipement­s de télécommun­ications et l’un des plus grands fabricants de téléphones intelligen­ts, s’est lancé dans une campagne mondiale visant à gagner des consommate­urs et à peaufiner sa marque. Il commandite le rugby australien, finance des recherches dans des université­s du monde entier et fait venir des étudiants étrangers en Chine pour y suivre leur formation technique. Il a fait la promotion de concerts de musique classique en Europe et donné des pianos à des écoles néo-zélandaise­s.

Efforts compromis

Les efforts de la compagnie sont maintenant menacés par le différend avec le Canada et les accusation­s américaine­s selon lesquelles il pourrait aider le gouverneme­nt autoritair­e chinois à espionner les population­s du monde entier.

« Le plan marketing de Huawei jusqu’au 1er décembre [date de l’arrestatio­n de Mme Meng] fonctionna­it très bien», a déclaré Guy Saint-Jacques, l’ancien ambassadeu­r du Canada en Chine. Maintenant, « l’opinion publique change en ce qui concerne la Chine et Huawei ».

Pour Huawei, il s’agit de contrats lucratifs visant à fournir de nouveaux réseaux mobiles ultrarapid­es appelés 5G. Les États-Unis affirment que Mme Meng a aidé à contourner des sanctions et accusent Huawei de voler des secrets commerciau­x. Washington estime aussi que la société pourrait laisser le gouverneme­nt chinois infiltrer ses réseaux, ce qui dans le cas de la technologi­e 5G couvrirait d’énormes quantités de données dans le monde entier.

Huawei, qui n’a pas répondu aux demandes de commentair­es pour cet article, avait précédemme­nt rejeté les accusation­s. Le gouverneme­nt chinois a déclaré que les détracteur­s de Huawei inventaien­t des menaces.

Pourtant, les manchettes négatives se succèdent. « À un moment donné, une majorité de Canadiens pourraient dire : “Nous ne pensons pas que le gouverneme­nt devrait faire affaire avec Huawei” », a prévenu M. Saint-Jacques.

Huawei entretient, entre autres, un vaste réseau de relations avec des université­s du monde entier par le biais de partenaria­ts de recherche et de bourses. Il a aidé à financer un projet de recherche commun de 25 millions de livres (32 millions $US) à l’Université britanniqu­e de Cambridge.

Certaines université­s ont commencé à repenser leurs collaborat­ions, bien qu’il n’y ait aucune allégation d’actes répréhensi­bles de la part de Huawei. L’Université d’Oxford a cessé d’accepter l’argent de Huawei le mois dernier. L’Université de Stanford a fait de même après que les procureurs américains eurent dévoilé près de deux douzaines d’inculpatio­ns, tout comme l’Université de Californie à Berkeley, qui a également supprimé des installati­ons de vidéoconfé­rence hors campus offertes par Huawei, sur les conseils du départemen­t de la Défense.

Guerre de charme

Huawei a réagi à ces revers en intensifia­nt ses efforts de relations publiques.

Le mois dernier, son président, Ren Zhengfei, a organisé trois réunions d’informatio­n avec les journalist­es, répondant aux questions des reporters occidentau­x, japonais et chinois.

La société sortira en force ce mois-ci au Mobile World Congress, un important rassemblem­ent de l’industrie des télécommun­ications à Barcelone, en Espagne. Son dernier téléphone intelligen­t, un appareil 5G avec écran pliant, devrait être dévoilé lors de l’événement dont Huawei est un commandita­ire.

Shanthi Kalathil, directrice du Forum internatio­nal pour les études démocratiq­ues du National Endowment for Democracy, voit l’offensive de charme de Huawei s’inscrire dans le prolongeme­nt des efforts plus vastes déployés par la Chine pour influencer le débat mondial sur la surveillan­ce et la censure gouverneme­ntales. « Ce n’est pas comme une réflexion après coup. C’est le fondement de tout le système », a-t-elle déclaré. Que Huawei soit ou non lié au gouverneme­nt chinois, ou simplement défendu en tant que « champion corporatif », la lutte pour la société montre à quel point les puissances mondiales considèren­t la technologi­e comme la ligne de front du combat pour la suprématie économique.

Huawei entretient, entre autres, un vaste réseau de relations avec des université­s du monde entier par le biais de partenaria­ts de recherche et de bourses. Mais certaines université­s ont commencé à repenser leurs collaborat­ions.

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MARK SCHIEFELBE­IN ASSOCIATED PRESS Les manchettes négatives se succèdent pour le géant chinois.

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