Buffy Sainte-Marie : la quête de justice en toute sérénité
La chanteuse et militante autochtone Buffy Sainte-Marie revient sur une carrière fournie
Elle était là dans le Greenwich Village des années 1960 et elle est toujours la seule femme autochtone lauréate d’un Oscar (pour la chanson Up Where We Belong, 1982). Véritable monument de la chanson et pionnière des luttes autochtones et du mouvement antiguerre, Buffy Sainte-Marie présentera ses refrains de résistance et d’espoir sur scène samedi.
Ne suggérez pas à Buffy Sainte-Marie que ses chansons sont chargées de « rage » sur Medicine Songs, son dernier recueil paru en 2017 fait de réinterprétations et réarrangements d’oeuvres marquantes de différentes époques — Universal Soldier, devenue l’hymne du mouvement contre la guerre du Vietnam dans les années 1960, y côtoie Power in the Blood, pièce éponyme de son album gagnant du Polaris 2015. Et ce, même si son chant vibrant et clair, reconnaissable entre tous, s’y voile d’une émotion palpable, une puissance déterminée semblant demander : « Faut-il encore répéter ? »
«Vous savez, je vous aimais bien avant que vous disiez ça ! » rigole l’icône du folk, militante des droits des autochtones et pionnière en de nombreux horizons. Mais la rage n’est pas nécessairement entendue comme une émotion négative, objecte-t-on.
«Je vois mes chansons comme des pièces d’empowerment, répond la chanteuse d’origine crie, née dans la com- munauté de Piapot dans la vallée de la Qu’Appelle, en Saskatchewan. Il y en a qui sont très explicitement des chansons de protestation ou de résistance ; d’autres, des chansons enthousiastes, tournées vers l’espoir, celles qui nous font aller de l’avant. Par exemple, Starwalker, c’est une chanson positive, une énergie qui soulève. »
Elle a toujours été comme ça, Buffy Sainte-Marie. Éprise de justice et prête au combat, mais extrêmement joyeuse, positive, sereine. Et souriante. Comme dans les années 1970, quand elle a fait partie de la distribution de la populaire émission jeunesse Sesame Street, lui permettant de défaire les préjugés sur les peuples autochtones sur une chaîne grand public de la télé américaine.
Ou comme aujourd’hui, dans le ventre de cet hôtel chic du centre-ville, alors que valsent autour d’elle des centaines de professionnels de la musique, réunis dans le cadre de la conférence Folk Alliance International. Son corps menu et droit, orné de plumes aux oreilles et de perles au torse sous son désormais habituel blouson de rockeuse, rayonne au milieu de toute cette activité exaltée. « Je suis une personne très joyeuse, oui ! Vous savez, je n’ai jamais eu de “lendemain de veille”, comme je ne bois pas. Donc, c’est une énergie dont je dispose. » Celle qui, à 77 ans, continue de se produire partout dans le monde, avec ou sans son groupe de fidèles musiciens, indique que ce qui l’épuise le plus, à son âge, est le décalage horaire trop fréquent. Où qu’elle aille sur la planète
Dès qu’on prend quelque chose et qu’on en fait un business, on crée des emplois, des bureaux, des rendements et il faut absolument carburer au profit. C’est très bien pour certaines personnes, mais l’art doit exister sans avoir à être profitable. BUFFY SAINTE-MARIE
pour revisiter devant public ses chants politiques et sentimentaux, la route est toujours longue depuis son île isolée de l’archipel hawaïen où elle a élu domicile.
Témoigner
Car il en faut, de l’énergie, pour braver les années et rester active. « J’ai eu une très très longue carrière, dit Mme SainteMarie, toujours avec le sourire. Je n’ai pas toujours été en haut des palmarès ou sur les ondes radio, que ce soit intentionnel ou non de la part de l’industrie. Mais je n’ai jamais été très proche du gros showbusiness. L’art et l’industrie, ce sont deux choses très différentes. Dès qu’on prend quelque chose et qu’on en fait un business, on crée des emplois, des bureaux, des rendements et il faut absolument carburer au profit. C’est très bien pour certaines personnes, mais l’art doit exister sans avoir à être profitable. »
Elle prend pour exemples ses confrères de la renaissance du folk de Greenwich Village dans les années 1950 Joan Baez et Bob Dylan. « Ce sont des gens qui ont explosé et que l’on connaît si bien parce qu’ils avaient des agents très déterminés, se souvient-elle. Mon dieu, certains imprésarios étaient vicieux ! Mais dans ces années, c’était merveilleux, on pouvait entendre toutes sortes de musiques et d’artistes. L’Internet me rappelle un peu cette période parfois. Il existait tellement de gens et d’artistes différents, partout, c’était une nouvelle liberté. »
Celle qui depuis longtemps transmet aux auditeurs les réalités autochtones par ses chansons — My Country 'Tis of Thy People You’re Dying, écrite en 1966, par exemple, racontait l’histoire de l’Amérique du Nord du point de vue des peuples autochtones — se réjouit de voir une plus grande sensibilité et une plus grande accessibilité de l’information quant à ces enjeux. Même si, visiblement, les changements prennent du temps à survenir. « Je pense qu’il faut se dire qu’au moins, plus de gens savent à propos des mauvaises choses. Dans les années 1960, personne ne savait rien sur les réalités des autochtones, sur les pensionnats, sur les abus des religieux, sur l’appropriation du territoire. »
Il ne faut donc pas cesser de tenir des discours d’espoir et d’empowerment, comme elle les appelle, afin de ne pas tomber dans le cynisme et le découragement, même si ça fait 50 ans qu’on doit répéter le message. Car l’ennemi de Buffy, la cupidité, est toujours à abattre. « Quand on a des dirigeants aussi obtus et guidés par leur désir du profit — je ne vais nommer personne ici… Donald Trump… —, on comprend que ça légitime une convoitise généralisée. C’est de ça que parle ma chanson Little Wheel Spin and Spin. La grande roue de la cupidité, elle tourne, mais elle engendre la petite, celle de la jalousie interpersonnelle, d’une personne à l’autre. »
Buffy Sainte-Marie sera en concert solo — sans ses musiciens — samedi au Théâtre Corona.