COUP DE FORCE POUR UNE IDÉE FIXE. L’ÉDITORIAL DE ROBERT DUTRISAC
Le ministre de l’Éducation, Jean-François Roberge, a déposé jeudi le projet de loi 5 imposant la maternelle quatre ans dans toutes les commissions scolaires et dans tous les milieux socioéconomiques. Tout enfant de quatre ans aura droit à la maternelle, comme c’est le cas pour les enfants de cinq ans. Dans le projet de loi, il est prévu que ce droit ne prendra effet qu’au moment que déterminera le gouvernement, mais le ministre a indiqué que l’échéancier visé était la rentrée scolaire de septembre 2023.
Quant aux coûts, ils sont costauds. En campagne électorale, la Coalition avenir Québec évaluait à 250 millions le coût de cette promesse qui portait sur la création de 5000 classes. On en est maintenant à un coût de fonctionnement oscillant entre 400 et 700 millions, en fonction de l’intérêt des parents pour cette maternelle 4 ans, qui ne sera pas obligatoire. Et c’est sans compter les dépenses en immobilisations pour la construction des nouvelles classes.
Au lieu de miser sur les services de garde subventionnés, notamment les centres de la petite enfance, pour le dépistage des troubles d’apprentissage chez les jeunes enfants et de continuer à ouvrir des classes de maternelle 4 ans dans les milieux défavorisés, le gouvernement Legault met le paquet dans la maternelle quatre ans universelle, dont l’implantation est pourtant semée d’embûches.
C’est comme si le dépistage ne devait pas se faire le plus tôt possible, même avant 4 ans, avec l’apport de services spécialisés qui manquent cruellement à l’heure actuelle. C’est ce que le ministre délégué à la Santé et aux Services sociaux, Lionel Carmant, a d’ailleurs compris, lui qui a annoncé que son gouvernement consacrera entre 70 et 90 millions au cours des deux prochaines années au dépistage précoce.
À l’Assemblée nationale, François Legault a affirmé que les parents auront le choix entre une garderie avec des « techniciens de garde » ou une maternelle quatreans dotée d’« enseignants avec toute l’équipe de spécialistes de l’école primaire ». Outre le fait que les termes qu’il a employés trahissent une certaine condescendance envers les spécialistes de la petite enfance que sont les éducatrices en garderie, le premier ministre semble avoir une vision idyllique de l’école. La réalité, c’est que les services spécialisés pour soutenir les élèves en difficulté sont rationnés à l’heure actuelle et que les délais d’attente pour y avoir accès peuvent s’étendre sur plusieurs mois, alors que les directions d’école encouragent les parents qui en ont les moyens à se tourner vers le privé pour obtenir les services d’un psychologue ou d’un ergothérapeute. Avant de songer à investir dans un réseau universel de maternelles 4 ans, il faudrait mettre à niveau les services spécialisés dans les écoles. Et financer un minimum de services pour les enfants d’âge préscolaire.
Il y a tout lieu de croire que le projet ne répond pas à un souhait des parents, selon un sondage commandé par l’Association québécoise des centres de la petite enfance (AQCPE). En outre, les commissions scolaires s’y opposent, tout comme les directions d’école. Les syndicats d’enseignants croient aussi que le gouvernement Legault fait fausse route, alors qu’il serait dans leur intérêt corporatiste d’approuver la création de ce réseau, qui leur ferait gagner de nouveaux membres.
La critique péquiste en matière d’éducation, Véronique Hivon, a raison de dire que le gouvernement caquiste « met tous ses oeufs dans le même panier ». Car c’est de cela qu’il s’agit : consacrer une part colossale des ressources financières — par définition limitées — à une seule mesure au lieu de soutenir diverses initiatives qui donneraient davantage de résultats pour les enfants d’âge préscolaire.