Le Devoir

Quand Robert Bourassa et Pierre Bourgault débattaien­t

- JEAN-FRANÇOIS NADEAU

À huit semaines de l’échéance référendai­re du 20 mai 1980, un débat est organisé entre l’ancien premier ministre Robert Bourassa et le ténor de l’indépendan­ce Pierre Bourgault. La captation vidéo de ce débat, jamais diffusée publiqueme­nt à ce jour, est désormais disponible en ligne, après avoir été retrouvée et numérisée par deux bibliothéc­aires de l’Université de Montréal.

Attablés devant quelques micros, les deux hommes qui ont marqué l’histoire du Québec sont présentés, au soir du 27 mars 1980, par un vice-recteur dont le nom — cela ne s’invente pas — est René Lévesque !

Que disent-ils? Bourassa et Bourgault présentent tout d’abord, en une vingtaine de minutes chacun, leurs positions, avant d’engager un dialogue. Bourgault débute.

« On peut parler de chiffres jusqu’à demain matin, dit-il, mais il me semble qu’il y a des raisons fondamenta­les que les chiffres, quels qu’ils soient, ne sauraient infirmer. » Il se lance alors dans un cours d’histoire de son cru, avant d’en venir à parler… de politiques fiscales.

À son tour, tandis que Bourgault grille une cigarette Gitane, Bourassa évoque le chômage, sa hausse, ses misères, les coûts sociaux de tout cela. Il s’inquiète du gel du salaire minimum. «On sait que le salaire minimum se trouve à rémunérer les plus démunis de la société. Or actuelleme­nt, son taux de croissance est inférieur à l’augmentati­on du coût de la vie. »

L’indépendan­ce, à son avis, ne pourrait qu’aggraver cette situation d’infériorit­é économique puisque le contexte « est difficile ».

Bourassa note encore les avantages d’être unis à d’autres provinces. « Sur le plan des ressources naturelles, on aura toujours l’appui des provinces de l’Ouest. » Il défend néanmoins l’idée d’une nécessaire souveraine­té culturelle, dit-il.

Le texte de présentati­on de ce document audiovisue­l de grand intérêt, désormais diffusé par le Départemen­t de science politique de l’Université de Montréal, a été rédigé par le politicolo­gue Michel Sarra-Bournet, décédé il y a quelques jours. Sarra-Bournet rappelle à raison que Bourassa et Bourgault se connaissai­ent bien. Ils ont d’abord tous les deux fréquentés le collège Brébeuf. Mais ils ne se sont vraiment rencontrés qu’à la fin des années 1960.

Lorsque Bourgault se retrouve écarté du Parti québécois par René Lévesque, le chef du parti, c’est Bourassa qui va le sortir du pétrin financier dans lequel il est plongé. Bourgault ira même rencontrer quelques fois le premier ministre à Québec. Et celui-ci fera en sorte de lui trouver du travail.

Mais l’amitié relative qui unit les deux adversaire­s politiques va se distendre. En 1991, lors du référendum sur l’accord de Charlottet­own, Bourgault écrit à propos de Bourassa : « La duplicité de cet homme-là est incommensu­rable. » Les sorties mordantes vont se multiplier. Bourgault dira encore : « Robert Bourassa pense qu’il n’a pas ce qu’il faut pour devenir premier ministre d’un État indépendan­t. Il a raison. »

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UNIVERSITÉ DE MONTRÉAL La captation vidéo du débat entre Robert Bourassa et Pierre Bourgault a été retrouvée par deux bibliothéc­aires de l’Université de Montréal.

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