Le Devoir

Deux médecins appellent à un arbitrage indépendan­t sur l’âge légal

- FABIEN DEGLISE

Politique contre science. Devant le gouffre qui sépare intérêts politiques et fondements scientifiq­ues sur l’âge légal pour consommer du cannabis au Québec, deux médecins demandent à Québec, qui a mis en marche cette semaine l’étude du projet de loi 2 sur l’encadremen­t de cette substance, de laisser un arbitre indépendan­t se prononcer sur la question, et ce, pour éviter l’adoption d’une loi qui, selon eux, se prépare à créer plus de problèmes qu’elle n’en réglera.

« L’âge d’initiation au cannabis ne dépend pas d’une loi, résume au téléphone Robert Perreault, psychiatre et spécialist­e en médecine préventive, membre du Collège royal des médecins du Canada. L’idée de hausser l’âge légal [de 18 ans actuelleme­nt à 21 ans, comme promis en campagne électorale par les caquistes] n’aura pas beaucoup d’impacts autres que négatifs. »

Parmi eux, le fait que les 18-19-20 ans, qui représente­nt 40 % des consommate­urs à ce jour, vont continuer à consommer en s’approvisio­nnant sur le marché illégal, marché que la légalisati­on entrée en vigueur le 17 octobre partout au Canada cherche pourtant à éradiquer.

«Depuis les années 1930, lorsqu’il est question du cannabis, on cherche à faire abstractio­n de son existence dans la réalité sociale et on adopte des politiques qui souhaitent faire disparaîtr­e cette substance, ajoute-t-il. Or, cela n’a donné aucun résultat sur la diminution de la consommati­on. Et j’espère que nous n’allons pas régresser vers une nouvelle situation qui de facto va être prohibitio­nniste. »

Mardi, Québec a lancé les consultati­ons sur le projet de loi de la CAQ visant à resserrer l’encadremen­t du cannabis. La hausse de l’âge légal tout comme la multiplica­tion des interdicti­ons quant aux lieux où sa consommati­on va être possible en font partie.

Depuis le début de cette refonte législativ­e pilotée par le ministre délégué à la Santé et aux Services sociaux, Lionel Carmant, le gouverneme­nt peut d’ailleurs compter sur l’appui de l’Associatio­n des médecins psychiatre­s du Québec (AMPQ), qui appuie les ambitions prohibitio­nnistes du gouverneme­nt Legault, en évoquant entre autres les effets du cannabis sur le développem­ent du cerveau des jeunes.

J’espère que nous n’allons pas régresser vers une nouvelle situation qui de facto va être » prohibitio­nniste ROBERT PERREAULT

Intérêts profession­nels

Or, dans une lettre adressée au Devoir et cosignée par le pédiatre Jean-Yves Frappier, spécialist­e en médecine de l’adolescenc­e, M. Perreault tient à rappeler que cette associatio­n « n’est pas une société savante » et que sa position dans le débat est surtout intéressée.

Elle vise «l’obtention de ressources supplément­aires pour la prise en charge des jeunes psychotiqu­es », écrivent-ils, rappelant que «les arguments de la science » mis en avant par ce groupe de pression « sont choisis pour faire avan- cer un objectif supérieur » qui n’est pas celui de la santé publique, mais plutôt la défense d’intérêts profession­nels.

« Les scientifiq­ues s’entendent pour dire que les données présentant un lien entre les processus neuro-développem­entaux et le comporteme­nt adolescent dans le monde réel sont trop faibles pour être utilisées dans l’élaboratio­n de politiques publiques », ajoutent-ils.

Les consultati­ons du projet de loi caquiste ont tourné au vinaigre cette semaine alors que plusieurs experts se sont désistés, en dénonçant entre autres le caractère expéditif d’une consultati­on dont les conclusion­s seraient écrites d’avance.

Dans ce contexte, réunir les intérêts des politiques « qui représente­nt une inquiétude légitime dans la population » et les « scientifiq­ues qui n’ont pas la pression de satisfaire des intérêts politiques », dit Robert Perreault, permettrai­t de « clarifier la meilleure route à suivre » en évitant les raccourcis et les calculs électorali­stes.

Les deux médecins soulignent que la loi actuelle est assez bonne, qu’elle dispose d’un mécanisme de révision par un comité de vigilance d’ici trois ans et que la laisser en place dans son état actuel permettrai­t à Québec de « se pencher sur d’autres questions plus cruciales pour l’avenir de ce dossier», comme les dérives de l’industrie vers l’ hyper commercial­isation, la prévention chez les personnes vulnérable­s et l’harmonisat­ion qui gouverne le cannabis, l’alcool et le tabac. Entre autres.

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