Le Devoir

Armes et santé mentale ? Faux débat !

- Texte collectif *

La majorité des décès par arme à feu au Québec sont des suicides et plus de 100 Québécois s’enlèvent la vie à l’aide de ce moyen tous les ans. Pour prévenir le suicide, nous devons agir sur plusieurs fronts, notamment en réduisant l’accès aux moyens de s’enlever la vie (dont les armes à feu) et en facilitant l’accès à des ressources et des soins en santé mentale. Ce sont deux mesures qui ont démontré leur efficacité.

En verrouilla­nt, en entreposan­t et en enregistra­nt leurs armes, les propriétai­res contribuen­t à la prévention du suicide. Ils le font pour leur propre sécurité, mais aussi pour celle d’un membre de leur famille, d’un ami ou d’un voisin, puisque près du tiers des personnes qui utilisent une arme à feu pour se suicider ne sont pas propriétai­res de l’arme. La vigilance de chacun est nécessaire.

Un registre permet de savoir si un individu possède des armes et à quel endroit elles sont entreposée­s. Il facilite ainsi le travail des policiers et des intervenan­ts lorsqu’ils doivent intervenir de façon urgente ou préventive auprès d’une personne en détresse. L’arme à feu est un moyen extrêmemen­t létal qui n’offre que très rarement une seconde chance à la personne en détresse. Bien que le suicide soit multifacto­riel, la présence d’une arme dans la maison multiplie par cinq les risques de suicide.

Il importe ici de comprendre dans quel état se trouve la personne ayant des pensées et des comporteme­nts suicidaire­s: elle souhaite cesser de souffrir, sa perception de la situation et de l’aide disponible est troublée par sa souffrance et elle est ambivalent­e face à la mort jusqu’à la toute dernière seconde. Si le moyen qu’elle a en tête pour s’enlever la vie n’est pas disponible au moment où sa détresse est la plus vive, un drame peut être évité. La présence d’une arme à feu, surtout lorsqu’elle n’est pas traçable par les intervenan­ts et les policiers, donne très peu de temps aux proches, aux intervenan­ts et aux policiers pour intervenir auprès de la personne suicidaire. L’arme représente un risque majeur dans ces circonstan­ces.

Prévention du suicide

Des voix s’élèvent actuelleme­nt contre le registre des armes à feu et réclament que les sommes qui y sont investies soient plutôt consacrées à la santé mentale. Nous croyons qu’il est tout à fait injustifié de prétendre qu’investir dans l’une de ces mesures se fait au détriment de l’autre. L’enregistre­ment des armes est une façon d’agir en prévention du suicide.

Rappelons que les nombreux suicides par arme à feu ont un coût énorme pour notre société, alors que l’enregistre­ment des armes est gratuit pour les propriétai­res et représente un coût annuel de 5 millions pour l’État (soit 0,60 $ par citoyen), une somme relativeme­nt minime par rapport aux besoins en santé mentale. En effet, 1,3 milliard de dollars par an sont actuelleme­nt consacrés aux programmes de santé mentale (en plus des sommes investies dans les services hospitalie­rs et communauta­ires) et il est absolument nécessaire de renforcer les soins, puisque les besoins sont grands ; les lacunes et le manque de ressources en santé mentale sont sérieux et méritent d’être évalués attentivem­ent.

L’investisse­ment collectif dans un registre est donc tout à fait raisonnabl­e, pour une mesure qui a déjà contribué à sauver des vies: l’ensemble des mesures fédérales adoptées à la suite de la tuerie à Polytechni­que, dont l’enregistre­ment de toutes les armes, a été associé à une baisse des suicides par arme à feu. Au Québec, nous avons constaté une baisse de 53 % des suicides par arme à feu entre 1995 et 2011, et ce, sans indice de substituti­on par d’autres moyens. Il est également démontré que les pays ayant un contrôle plus serré des armes à feu présentent un taux de suicide par ce moyen inférieur aux pays qui n’en ont pas. Investir en santé mentale ne remplacera pas l’enregistre­ment des armes à feu : ces mesures sont toutes deux nécessaire­s pour prévenir les décès par suicide.

Rappelons que trois suicides sont commis chaque jour au Québec alors qu’il s’agit d’une cause de décès évitable. Faisons ce qui est facilement à notre portée pour prévenir d’autres drames. Nous enregistro­ns nos voitures, certains animaux de compagnie. Pourquoi pas nos armes à feu ?

Pour la prévention du suicide, appuyons le registre, enregistro­ns nos armes et investisso­ns aussi dans les soins de santé mentale.

* Ont signé ce texte: Jérôme Gaudreault, Associatio­n québécoise de prévention du suicide; Diane Harvey, Associatio­n québécoise pour la réadaptati­on psychosoci­ale; Geneviève Fecteau, Associatio­n canadienne pour la santé mentale – Division du Québec; Renée Ouimet, Mouvement Santé mentale Québec; Lynda Poirier, Regroupeme­nt des centres de prévention du suicide du Québec; Roxane Thibeault, Regroupeme­nt des services d’interventi­on de crise du Québec

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