Un sérieux retard du Canada dans la lutte contre la corruption |
Le Canada est loin des meilleurs en matière de lutte contre la corruption à l’étranger. Et, plutôt que de s’améliorer, il était encore récemment en train de reculer.
La corruption est un mal qui ronge tout et qui affecte disproportionnellement les plus pauvres et les plus démunis, en réduisant l’accès aux services publics, en plombant la vigueur de l’économie et en minant la confiance dans les institutions communes. Elle mène à des services publics plus chers et à l’attribution de contrats à des entreprises moins compétentes au seul profit de quelques individus et compagnies peu scrupuleux et bien placés.
Dans certains pays d’Afrique ou d’Amérique latine, elle accapare jusqu’à 13% des revenus des ménages les plus pauvres contre 4 % chez les plus riches, rapporte l’Organisation de coopération et de développement économiques (OCDE). Aux États-Unis, on a déjà estimé qu’elle gruge entre 5 % et 10 % du budget public de la santé. Préférant éviter les pays corrompus, les entreprises étrangères y investiraient de 5 % à 10 % moins que dans les contrées moins infectées. Selon le Forum économique mondial, les quelque 1000 milliards $US versés en pots-devin chaque année réduiraient de plus de 5 % l’économie mondiale, pour un coût total d’environ 3500 milliards.
Plusieurs pays ont promis de s’attaquer au problème en ramenant notamment à l’ordre leurs propres ressortissants et entreprises privées lorsqu’ils sont à l’étranger. Les 36 pays membres de l’OCDE et une dizaine d’autres ont notamment signé, à la fin des années 1990, une « Convention sur la lutte contre la corruption d’agents publics étrangers dans les transactions internationales » ayant mené, en 20 ans, à la condamnation d’au moins 350 particuliers et 130 entreprises, à quoi il fallait ajouter 500 enquêtes et 140 poursuites en cours.
Le retard canadien
Comme les autres pays riches, le Canada s’est joint à l’effort, mais il semble loin d’être le plus doué. Lors de sa der- nière évaluation par ses pairs, en 2011, il s’était notamment fait reprocher sa définition trop étroite de la corruption, le manque de clarté de ses lois et le peu de ressources allouées aux enquêtes qui ont abouti à un nombre de condamnations (1) et à une peine « trop faibles pour être efficaces, proportionnés et dissuasifs ». Ottawa avait assuré, deux ans plus tard, avoir corrigé au moins une partie des lacunes qui lui avaient été reprochées.
La prochaine évaluation du Canada à l’OCDE ne commencera pas avant l’an prochain et n’accouchera pas d’un rapport avant l’année suivante. Sa performance générale ne semble toutefois pas s’être tellement améliorée, à en croire à tout le moins l’organisme international de lutte contre la corruption Transparency International. Dans son dernier classement sur « l’exportation de la corruption » cet automne, l’ONG basée en Allemagne rétrogradait même le Canada d’un rang, du groupe des pays dont la lutte contre la corruption à l’étranger peut être qualifiée de « modérée » à celui où la lutte n’est que « limitée » ; à des lieues des meilleurs, dont les politiques sont jugées « actives » ; et à deux petits points seulement (sur 24) de se retrouver avec les derniers, dont l’action passe pour « faible », voire « inexistante ».
Transparency International reproche notamment au Canada la trop grande rigidité de son cadre législatif, la communication déficiente entre les enquêteurs et les procureurs et le manque de ressources. À sa décharge, il faut noter que seulement 7 pays sur les 44 étudiés se hissent dans le groupe des chefs de file, dont les États-Unis, le RoyaumeUni, l’Allemagne et l’Italie, et que seulement 4 autres arrivent au deuxième rang (dont le Brésil et la Suède). Le groupe du Canada compte 10 pays, dont la France, les Pays-Bas, la Grèce et l’Afrique du Sud, ce qui laisse derrière eux, dans le camp des cancres, la moitié des pays étudiés (22), dont plusieurs gros noms, comme la Chine, le Japon, le Mexique, la Russie, la Corée du Sud, mais aussi l’habituellement vertueux Danemark.
Les entreprises canadiennes semblent frappées de la même insouciance que leurs gouvernements. Seulement une sur cinq s’est penchée, au cours des deux dernières années, sur son exposition aux risques de trafic d’influences et de corruptions, rapportait l’an dernier PricewaterhouseCoopers, soit trois fois moins que pour les risques de cyberattaques ou de fraudes. Il faut dire que seulement 8 % d’entre elles rapportent s’être fait demander de verser un pot-de-vin durant la même période, contre le quart des entreprises sondées ailleurs dans le monde, et que seulement 8 % avaient aussi mentionné, deux ans plus tôt, avoir perdu un contrat parce qu’elles avaient refusé de verser un bakchich.
Sain scepticisme
Le récent ajout à l’arsenal juridique canadien de la possibilité de négocier, avec une entreprise ou un individu pris en faute, un accord de réparation plutôt que de chercher coûte que coûte à obtenir une condamnation criminelle est plutôt bien reçu par les gens au fait de ces questions. Du côté des entreprises, on y voit notamment une façon d’éviter d’être désavantagés face à des concurrents américains et britanniques qui ont déjà droit à une telle disposition. Pour Transparency International, ce mécanisme ouvre aux autorités le champ des possibles afin de tenir compte des facteurs aggravant ou atténuant des gestes commis, en plus de favoriser la coopération des entreprises.
Les partisans de la mesure pardonneront aux autres de vouloir attendre et voir avant de se prononcer sur sa valeur, compte tenu du bilan, jusqu’à présent, loin d’être exemplaire du Canada en la matière.