La nouvelle chronique de René Vézina |
Une poule aurait de la misère à y retrouver ses petits. Depuis que le gouvernement de François Legault a annoncé que seraient éliminés 18 000 dossiers d’immigration en suspens, la confusion augmente de jour en jour. Des questions d’importance demeurent sans réponse.
Combien de personnes sont touchées ? On parlait au départ de 40 000, à raison, statistiquement, de quelque 2,5 personnes par dossier. Mais combien sont déjà au Québec ? Le gouvernement évalue leur nombre à 5500. Combien sont déjà installées, depuis combien d’années, et déjà actives ? S’agit-il de la plupart ? Probablement, d’autant qu’il s’agit là d’immigrants « économiques », donc outillés pour participer au marché du travail, et francophones pour l’essentiel.
Que devront faire ces gens pour régulariser leur situation ? Reprendre leurs démarches à zéro en se faisant rembourser le millier de dollars qu’il leur a fallu payer pour ouvrir leur dossier. On évoque, au gouvernement, une démarche accélérée.
Mais la situation n’est pas rose. On n’a qu’à se mettre à leur place, à celle de leur employeur, de leurs proches, pour entrevoir le chaos dans lequel ces gens sont soudainement plongés. Quel casse-tête, et ce, alors que le Québec fait face à une rareté de main-d’oeuvre avec un taux de chômage historiquement bas et un taux d’emploi (proportion de personnes disposant d’un emploi parmi celles en âge de travailler) qui augmente de mois en mois…
Et avec une demande plus forte de renfort pour les zones hors de Montréal : le dernier relevé indique que 86 % des immigrants s’installent dans la métropole, alors que 55 % des emplois à remplir sont en région.
C’est ce qui a incité six maires de villes d’un bout à l’autre du Québec à partir pour Paris, à la mi-janvier, pour participer là-bas au Salon de l’emploi et de la mobilité professionnelle. Le budget était assumé par l’Union des municipalités du Québec.
Le maire de Saint-Donat, Joé Deslauriers, était du voyage. La jolie municipalité de la Haute-Lanaudière manque de main-d’oeuvre. Pour la villégiature, qui a fait sa réputation, mais aussi pour son secteur agroalimentaire.
La Boulangerie du Village a un besoin urgent d’un boulanger, un vrai, et ils se font de plus en plus rares au Québec. Sur une base plus industrielle, la Boulangerie de Saint-Donat — connue entre autres pour ses tartes — a elle aussi besoin de recruter du monde, et le maire le sait bien.
« Des postes sont à pourvoir depuis des mois, dit Joé Deslauriers, du travail autant technique que journalier, et on trouve en France des gens intéressés… Il existe ici des programmes pour faciliter l’accueil. Il le faudrait, on ne voudrait surtout pas que les candidats qui font l’affaire se retrouvent dans les limbes. »
À l’autre bout du Québec, à l’orée de la Gaspésie, le maire de Matane, Jérôme Landry, se gratte lui aussi la tête face à ce qui arrive. Sa ville autant touristique qu’industrielle a besoin de gens qualifiés.
D’autant qu’il se faisait également le porte-parole de municipalités environnantes. Plus à l’est, aux Méchins, le chantier maritime Verreault a grandement besoin de soudeurs et d’autre personnel de métier. À Matane, chez lui, des cabinets de dentistes sont en manque d’hygiénistes dentaires. « Et ici aussi, il y a des mois que ces postes sont affichés, sans résultat », dit-il.
En Gaspésie, qui est encore regardée avec condescendance, comme si elle vivait en bonne partie aux crochets de l’État, un mythe encore répandu ? Pourtant, on s’y active, et de plus en plus, sauf qu’il lui faut du renfort. D’ici quelques années, le taux de remplacement de la main-d’oeuvre y aura chuté à 55, autrement dit on ne comptera que 55 personnes de 20 à 29 ans prêtes à investir le marché du travail contre 100 personnes de 55 à 64 ans à la veille de quitter leur travail.
On ne pourra pas toutes les remplacer par des robots… Et l’enjeu se répercute bien au-delà de Saint-Donat et de Matane.
C’est dire la nécessité d’élever le débat sur l’immigration et de le considérer dans une perspective historique. Le Québec veut et peut aspirer à la grandeur, mais il ne pourra pas y parvenir en rapetissant.
C’est ainsi que je vous reviendrai tous les deux vendredis, en abordant l’économie par le biais d’histoires qui se passent sur le terrain et qui mettent en scène la vie de tous les jours, autant que faire se peut. En paraphrasant la célèbre devise du mouvement environnementaliste, je suggère de penser globalement, mais aussi de comprendre localement.
Des postes sont à pourvoir depuis des mois, du travail autant technique que journalier, et on trouve en France des gens intéressés… Il existe ici des programmes pour faciliter l’accueil. Il le faudrait, on ne voudrait surtout pas que les candidats qui font l’affaire se retrouvent dans les limbes. JOÉ DESLAURIERS