Un rare immeuble Art nouveau voué à être rasé
La Société d’habitation et de développement de Montréal affirme ne pas avoir le choix
Un rare édifice de style Art nouveau, signé en 1914 par l’architecte Joseph-Arthur Godin (1879-1949), est voué à la démolition par son propriétaire, la Société d’habitation et de développement de Montréal (SHDM). Selon l’arrondissement de Ville-Marie, parmi une courte liste de sept bâtiments, l’immeuble est considéré comme ayant une « valeur exceptionnelle ».
Un immeuble similaire, construit exactement à la même époque par le même architecte, s’est vu attribuer, en 1990, un statut de bâtiment protégé par l’État québécois. Il est désormais intégré à un complexe hôtelier de la rue Sherbrooke. Un autre, situé rue Saint-Denis, abrite toujours des commerces et des locataires.
Le bâtiment que la SHDM souhaite démolir est situé pour sa part dans une discrète rue du Quartier latin, au 330, rue Christin. En 2016, la SHDM avait lancé un chantier pour sa réfection au coût de 4,7 millions. Il a été arrêté parce que, selon des avis obtenus par la SHDM, l’immeuble de plus d’un siècle comporte des vices de construction, du moins en vertu des exigences du Code du bâtiment d’aujourd’hui. Des professionnels en structure l’ont affirmé à l’occasion de travaux menés pour enlever l’amiante, a expliqué au Devoir MarieLouise Brunette, chef des communications et du marketing de la SHDM. « Les solutions n’étaient pas viables. Il aurait fallu renforcer les fondations. On a fait venir une autre firme d’ingénierie. Ils nous ont dit que c’était mal construit. »
L’architecte Anne Cormier, de l’atelier Big City, a été mandatée pour dessiner un nouvel immeuble de 114 logements. Il devrait être construit dans un horizon de deux ans, en remplacement des 61 que compte l’immeuble actuel.
On promet de rappeler l’existence de l’immeuble Le Christin. « Tout redéveloppement de ce site devra inclure un plan de commémoration du patrimoine », indique l’arrondissement de Ville-Marie. À la SHDM, on affirme qu’on fera le nécessaire pour laisser une trace, « pour que ça reste pour les historiens ».
Au Conseil du patrimoine de Montréal, on ne souhaite pas faire de commentaire public sur ce sujet, puisque le Conseil est appelé à se prononcer sur le projet avec le Comité Jacques-Viger, l’instance consultative de la Ville en la matière. Le Conseil confirme cependant avoir reçu « une demande de l’arrondissement de Ville-Marie pour la présentation de ce projet ».
Intérêt majeur
Selon le plan d’urbanisme de l’arrondissement, cet immeuble à logements du début de la Première Guerre mondiale — un « immeuble de rapport », comme on les appelait alors — est d’un grand intérêt patrimonial et architectural.
Architecte et promoteur, Joseph-Arthur Godin a seulement 35 ans lorsqu’il inaugure ces appartements avant-gardistes. Architecte, il l’est depuis l’âge de 19 ans. De ses études à l’école des beaux-arts de Paris, Godin a ramené une passion pour un modernisme architectural inspiré par l’Art nouveau. Il est l’un des premiers à explorer les possibilités offertes par le béton. Les immeubles qu’il construit marquent souvent une rupture avec ce qui se construit alors dans le paysage montréalais.
Godin a construit des « théâtres » pour le cinéma, dont le Dominion, qui a connu plus tard son heure de gloire sous le nom de Théâtre des Variétés. Il dessine aussi des églises, des stations de police, des maisons bourgeoises, des écoles, comme l’Académie Querbes à Outremont, avec son entrée monumentale.
C’est à Godin encore que l’on confie la décoration publique des rues de Montréal pour accueillir le gigantesque Congrès eucharistique de 1910, alors que des milliers de croyants débarquent dans la ville. Godin pare les rues d’arcs de triomphe, comme si l’on célébrait le triomphe militaire de quelque César céleste. De ces constructions ne subsistent que des photographies. Comme cela risque d’être bientôt le cas pour l’immeuble qu’il construisit rue Christin.
En 2016, la SHDM avait lancé un chantier pour sa réfection au coût de 4,7 millions. Il a été arrêté parce que, selon des avis obtenus par la SHDM, l’immeuble de plus d’un siècle comporte des vices de construction, du moins en vertu des exigences actuelles du Code du bâtiment.