Le Devoir

L’horreur des pensionnat­s autochtone­s

Sonia Perron s’inspire du génocide culturel qu’ont subi les enfants des Premières Nations

- ANNE-FRÉDÉRIQUE HÉBERT-DOLBEC COLLABORAT­RICE LE DEVOIR

En choisissan­t de plonger l’intrigue de son premier roman dans l’enfer des pensionnat­s autochtone­s, la réalisatri­ce et documentar­iste Sonia Perron tente ce que peu oseraient accomplir: raconter l’intolérabl­e, avec une sobriété dénuée d’euphémisme.

«Il est impératif de tuer l’Indien dans l’enfant afin que celui-ci puisse intégrer le monde des Blancs. Un monde où on respecte Dieu, un monde sans luxure, sans péché. Ce garçon est mon meilleur. Il croit en Dieu et est presque complèteme­nt assimilé. Le retourner dans son ancien monde serait une grossière erreur. Jean Lacombe demeurera au pensionnat pour l’été. »

Aujourd’hui considérés comme un outil central du génocide culturel à l’égard des premiers peuples du Canada, les pensionnat­s autochtone­s et l’ampleur des monstruosi­tés qui s’y sont déroulées entre la fin du XIXe siècle et 1996 demeurent méconnus des Québécois.

Au cours de cette période, 150 000 enfants ont été arrachés à leur famille et à leur communauté puis placés dans l’un des 139 établissem­ents en activité au pays, dans l’objectif d’en faire des êtres civilisés, dépossédés de leur nom, de leur langue, de leur culture et de leur identité. Près de 3500 d’entre eux ont perdu la vie, victimes d’indescript­ibles sévices, de maladies et de déficience sanitaire.

Recoller les morceaux

Fruit d’une rencontre marquante avec une victime de cette tentative d’assimilati­on, et de plus de quatre années de recherche exhaustive, Billydéki offre un portrait brutal, choquant et évocateur de cette funeste réalité, à travers une intrigue savamment tissée, aux effluves de road book, dont l’appel du dénouement s’avère plus fort que la volonté de fermer les yeux.

En 1945, dans un pensionnat du nord de l’Ontario, Billydéki et le Petit, deux gamins d’Josée Bilodeau trouve son équilibre, nous faisant ressentir la douleur du vide et la persistanc­e fragile de la beautéà peine 13 ans, disparaiss­ent sans laisser de trace. Vingtcinq ans plus tard, Thomas Laurin, un frère défroqué hanté par son passé et son silence, se décide à révéler ce dont il a été témoin. Craignant que l’homme à l’origine des actes abominable­s qui ont mené à la fugue des enfants ne récidive, il se confie à un jeune enquêteur et à sa collègue qui tenteront, envers et contre tous, de résoudre cette sordide histoire dans un Québec en plein bouleverse­ment, encore attaché et défini par ses valeurs religieuse­s.

Dans cette aventure qui les mènera sur l’emblématiq­ue route 66 qui traverse les États-Unis, les deux policiers recollent les morceaux tout en marchant sur les traces de Jack Kerouac, au coeur d’une Amérique moderne à la recherche de justice et de vérité.

La fascinatio­n qu’exerce la trame narrative ne parvient cependant pas à absoudre l’aspect unidimensi­onnel du roman, exacerbé par une plume par moments réductrice qui contribue à dépeindre des personnage­s peu nuancés, dont les desseins sont d’une improbable et frustrante dichotomie.

Billydéki n’est pas un roman qui s’attarde à comprendre ou à expliquer l’horreur, ni à offrir une réflexion sur la réconcilia­tion. Il est plutôt résolument axé sur l’espoir; celui qui émerge lorsqu’on tend la main et l’oreille aux réalités différente­s avec ouverture et sensibilit­é. Et ça, on ne peut guère le lui reprocher.

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PAUL-ANDRÉ DESMEULES Sonia Perron tente ce que peu oseraient faire : raconter l’intolérabl­e, avec une sobriété dénuée d’euphémisme.
 ??  ?? Billydéki ★★★Sonia Perron, Fides, Montréal, 2019, 176 pages
Billydéki ★★★Sonia Perron, Fides, Montréal, 2019, 176 pages

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