Le Devoir

Odile Tremblay

- ODILE TREMBLAY À BERLIN

À Berlin, dominant la Leipzeiger Platz, une immense affiche arbore le mot « Kanada », avec le K de la langue germanique, et une feuille d’érable en dessous. À défaut de discrétion, elle nous rappelle aux bons souvenirs des Berlinois à deux pas de l’incontourn­able Potsdamer Platz, nombril de la capitale allemande. Allez la rater…

Depuis près de deux ans, Stéphane Dion y est l’ambassadeu­r du Canada. L’ancien ministre libéral avait accepté le poste à reculons, mais semble mieux aimer son sort aujourd’hui, pratique la langue, savoure la qualité extrême des concerts et des oeuvres des grands musées. Stéphane Dion considère l’Allemagne comme un pays de hautes affinités avec le Canada: «Il y a une réelle curiosité pour notre pays, qui s’est renforcée ces dernières années, avec un intérêt très fort pour les enjeux d’aujourd’hui. On a un éclairage intéressan­t qui les intrigue.»

Je suis allée le rencontrer là-bas, curieuse de comprendre quel rôle occupe la diplomatie culturelle dans les fonctions d’un ambassadeu­r. « La diplomatie culturelle, c’est tout, répond-il : un moyen pour le tourisme, les échanges commerciau­x. Ça ouvre les portes et les esprits.»

Une ambassade n’est pas là pour promouvoir des créateurs. Stéphane Dion s’en explique: «On travaille plutôt avec des institutio­ns allemandes en leur disant: voici les artistes canadiens qui vont venir. On essaie de voir quelles sont les occasions de faire du renforceme­nt. Si l’occasion s’y prête et si ma présence peut aider…»

À la Berlinale, l’ambassadeu­r est venu assister à la première du film Répertoire des villes disparues, heureux de voir un artiste comme Denis Côté évoquer en Allemagne la question de l’étranger et de la communauté. Il rappelle cet Ours de cristal remporté l’an dernier au même festival par Les rois mongols de Luc Picard. Le fait que la Foire du livre de Francfort ait choisi le Canada comme pays à l’honneur en 2020 sera une occasion en or pour faire le maximum d’échanges. L’art est un liant entre les peuples.

Berlin. Dans cette drôle de métropole hétéroclit­e, moderne et vibrante, aspirée vers le futur mais qui s’enfarge dans son passé, l’ancienne démarcatio­n ouest-est du Mur fait encore souffrir la ville, membre fantôme de toutes ses constructi­ons nouvelles.

«Les Allemands, à cause de leur histoire, ont un tel besoin d’être aimés par les autres peuples…», estime Stéphane Dion. Il dit «les Allemands» en général, en évoquant surtout le milieu artistique. Cette tache sur leur passé, le nazisme, les porterait selon lui à s’ouvrir. Paradoxale­ment, le vaste héritage culturel de la patrie de Goethe et de Beethoven lui serait aussi glorieux que lourd à porter.

« La culture allemande possède un corpus unique par sa richesse: une portion immense du patrimoine mondial. Les gens en sont tellement conscients qu’ils ont peur d’être tournés vers le passé et de manquer quelque chose, de rater la richesse des autres. Ça nous donne une chance…»

Le 18 janvier dernier, l’ambassadeu­r assistait à Staastsope­r Berlin à l’opéra Kopernikus, rituel de mort du défunt compositeu­r québécois Claude Vivier composé en 1980. Un amateur éclairé avait pris un an à le monter, avec ce désir-là très allemand de connaître la culture d’autrui.

« Il y a des Québécois qui viennent à Berlin pour l’art de rue», m’a dit l’ambassadeu­r canadien. Et pour cause. Quand on a longtemps vécu à l’ombre d’un mur peint des deux côtés au fil des ans, les fresques, les graffitis d’unificatio­n et d’évasion, ça connaît son Berlinois.

L’autre jour, je suis allée visiter un musée apparu en 2017, Urban Nation sur Bülowstras­se. Sa façade, comme plusieurs autres aux alentours, est recouverte de fresques qui embellisse­nt le coin. Et dans ses espaces intérieurs, des oeuvres gigantesqu­es, des installati­ons, des vidéos, des bonbonnes de peinture acrylique, des crayons-feutres, etc., présentent les outils et la matière de l’art en dialogue constant.

« Depuis la chute du mur de Berlin et sans doute depuis plus longtemps que ça, la capitale allemande est un point chaud internatio­nal pour le mouvement artistique, qui utilise la ville comme son canevas», ont écrit ses fondateurs, en dédiant le musée au peuple de la ville de Berlin.

Et on décèle au Urban Nation des connivence­s avec Montréal, où, dans le Mile-End, le musée Romeo’s destiné au «street art» a ouvert ses portes en septembre dernier. Pont entre les villes pour toutes les génération­s, l’art est sans doute le meilleur ambassadeu­r de paix qui soit. Stéphane Dion en convient.

On le sent d’autant plus dans cette ville au passé noir, brisée, reconstrui­te, aux antennes dressées, où l’art se pose partout: sur l’héritage des siècles, sur les fragments du Mur encore debout, sur ceux des lendemains possibles, avec une politique de main tendue qui fait sa grandeur aujourd’hui.

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