Le calme sonore, une denrée rare dans les anciens faubourgs ouvriers |
Les zones calmes doivent servir de mesure de transition pour apaiser les nuisances causées par le bruit
Ce n’est un secret pour personne : le bruit, qu’il soit issu du trafic automobile ou du transport aérien, n’affecte pas tous les Montréalais de la même façon. Mais arrivent-ils à l’éviter, ne seraitce que pour un temps, avec la même aisance ? Pas tout à fait non plus.
Qu’ont en commun Hochelaga-Maisonneuve, Pointe-Saint-Charles et ParcExtension ? Hormis les traces évidentes de leur passé industriel, ces trois quartiers sont parmi les secteurs de Montréal où les nuisances sonores sont les plus importantes. Traversés de part et d’autre par de larges artères, quand ils ne sont pas carrément coincés entre de grands axes urbains, ces quartiers — où habite, il convient de le rappeler, la plus forte concentration de ménages à faible revenu — sont aussi ceux où l’on trouve le moins de zones calmes, ces espaces à faible niveau de bruit qui peuvent être favorables au ressourcement des populations.
C’est ce que révèle une récente étude menée par quatre chercheurs du Laboratoire d’équité environnementale (LAEQ) de l’Institut national de la recherche scientifique (INRS). Rendue publique au cours des dernières semaines, celle-ci vise notamment à recenser les zones calmes sur le territoire de la métropole et à mettre en avant les iniquités qui persistent entre les différents groupes de citoyens.
« En cartographiant ces zones, nous nous sommes rendu compte qu’il existe des disparités entre les arrondissements, expose Deborah Delaunay, qui vient tout juste de terminer sa maîtrise en études urbaines sur cette question. Ces écarts ne sont pas énormes — la moyenne d’accessibilité à ces zones demeure assez bonne pour l’ensemble des Montréalais —, mais on remarque tout de même qu’ils existent et que, pour les résidents de certains secteurs, il peut être difficile de faire une pause du bruit sur une base quotidienne. »
Disparités historiques
Ainsi, les travaux des quatre chercheurs ont permis de constater que ces zones, malgré leurs bienfaits évidents sur la santé des gens, se font plus rares dans les anciens faubourgs ouvriers, comme les quartiers du Sud-Ouest, du Centre-Sud et d’Hochelaga-Maisonneuve. Une singularité qu’on peut associer, notamment, au passé industriel de ces secteurs, selon Deborah Delaunay. «Les quartiers n’ont pas tous la même histoire, souligne-t-elle, en jetant un regard à la carte de la métropole. C’est normal que cela ait teinté le développement du tissu urbain et résidentiel.» L’intensité sonore de ces quartiers — et la difficulté d’y préserver des zones où l’on arrive à oublier le bruit — s’explique aussi par la forte présence d’axes de transit, ces portions de la ville étant, encore aujourd’hui, traversées par des centaines de milliers de véhicules sur une base quotidienne.
À l’inverse, les résidents de certains quartiers, comme ceux de Rosemont, du Plateau-Mont-Royal ou d’Outremont par exemple, bénéficient de plusieurs zones calmes. De natures disparates, ces dernières peuvent prendre la forme de grands espaces verts — on peut penser ici au parc La Fontaine ou à celui du Mont-Royal —, de ruelles (vertes ou non) ou, tout simplement de rues résidentielles plus tranquilles. « Parfois, ce sont les mesures d’apaisement de la circulation qui garantissent la présence de telles zones », explique Philippe Apparicio, qui codirige le LAEQ.
Définir le calme
Partie prenante des mesures d’apaisement du bruit environnemental en Europe depuis 2002, le concept de zones calmes demeure assez marginal en Amérique du Nord. « On n’aborde pas ces questions de la même façon, expose Deborah Delaunay, qui a ellemême fait ses premières armes dans la capitale française. Là-bas, on le fait beaucoup sous l’angle de la qualité de vie, ce qui explique l’importance accordée aux zones calmes », dont les bienfaits sur la santé ont été maintes fois démontrés, « alors qu’ici on est plus dans la gestion des nuisances », précise la jeune chercheuse.
Malgré tout, il n’existe pas de définition claire de ce que sont ces « zones de ressourcement ». Ainsi, dans certains cas, les chercheurs s’attardent davantage au niveau d’intensité sonore, alors que, pour d’autres, il s’agit plutôt de la nature des sons que l’on retrouve dans ces zones. « Des fois, il suffit de pouvoir entendre les oiseaux ou le bruit d’une fontaine, décrit la jeune femme. Et dans d’autres cas encore, c’est l’effet de contraste par rapport à l’environnement sonore ambiant qui compte… Car il ne faut pas l’oublier, la notion de calme est souvent subjective, elle peut donc varier d’un individu à l’autre en fonction de sa propre relation avec le bruit. »
Priorité politique ?
Au Québec, les pouvoirs publics ont longtemps fait la sourde oreille face au bruit environnemental. Malgré tout, on remarque, depuis environ une décennie, une plus grande mobilisation de la part des citoyens vis-à-vis de ces bruyantes questions et donc, par conséquent, une sensibilité accrue de la part des élus et des fonctionnaires.
Ainsi, depuis déjà quelques années, la Ville de Montréal s’attache à mieux documenter les effets du bruit environnemental sur les populations et à définir les meilleurs moyens de les apaiser ; une volonté qui a d’ailleurs été réaffirmée par l’administration Plante lors de son élection en 2017. À ce sujet, la Ville devrait d’ailleurs mettre sur pied un Observatoire du bruit dans un avenir rapproché.
Dans un même ordre d’idées, le ministère de la Santé et des Services sociaux travaille depuis 2013 à développer «une gestion cohérente du bruit environnemental » pour l’ensemble de la province et à « documenter les impacts [de ce dernier] sur la santé humaine». Des efforts qui, concrètement, ont amené l’Institut national de santé publique du Québec (INSPQ) à publier, en septembre dernier, un guide des Meilleures pratiques d’aménagement pour prévenir les effets du bruit environnemental sur la santé et la qualité de vie, dans lequel figurent justement les zones calmes.
Mesure transitoire
Ces dernières ne doivent toutefois pas être perçues comme une panacée, tempère Richard Martin, de l’INSPQ. « En fait, il ne faut pas s’arrêter à ça, insiste le conseiller scientifique à la Direction de la santé environnementale. Ces zones, bien qu’essentielles à mon avis, doivent agir de manière temporaire. En gros, elles nous permettent d’atténuer les effets du bruit en attendant de pouvoir intervenir sur ses sources. Les municipalités doivent s’en servir comme moyen de transition ! »
Il faut toutefois faire preuve de prudence lorsqu’on parle de créer de nouvelles zones calmes pour éviter de contribuer à l’embourgeoisement des quartiers, avance pour sa part Philippe Apparicio, de l’INRS. « On revient toujours à ça, déplore le chercheur en laissant échapper un soupir. Et ce n’est pas propre au bruit; je vous rappelle qu’on a déjà observé des effets similaires lors de l’ajout de pistes cyclables ou de nouveaux espaces verts… C’est dommage, mais à l’heure actuelle, quand on décide d’agir sur des vecteurs d’iniquité environnementale, on se bute souvent au fait qu’en améliorant la qualité de vie dans certains milieux, on rend ces mêmes secteurs plus intéressants. Il est donc essentiel de trouver un équilibre pour que les vrais gagnants de ces interventions soient ceux qui en ont réellement besoin. »
Ces zones, bien qu’essentielles à mon avis, doivent agir de manière temporaire. En gros, elles nous permettent d’atténuer les effets du bruit en attendant de pouvoir intervenir sur ses sources.
RICHARD MARTIN