Le Devoir

La « petite révolution » de McCann

Les médecins sont « prêts » à donner plus de place aux infirmière­s, soutient en entrevue la ministre de la Santé

- ISABELLE PORTER À QUÉBEC

Après avoir longtemps résisté, les médecins sont désormais prêts à donner plus de place aux infirmière­s pour désengorge­r le système de santé, croit la ministre de la Santé, Danielle McCann. D’ici un an, on pourrait même voir des infirmière­s praticienn­es spécialisé­es faire des diagnostic­s, selon elle.

« L’objectif, c’est que les infirmière­s praticienn­es spécialisé­es (IPS) puissent utiliser toutes leurs compétence­s. Il y en a presque 500 en première ligne. Imaginez le potentiel ! Actuelleme­nt, elles doivent se fier au médecin, elles ne peuvent pas poser de diagnostic », a expliqué la ministre de la Santé en entrevue au Devoir. « Imaginez-vous si on dégage ça ! On a l’offre de service qui va être augmentée. »

Récemment, Danielle McCann a officielle­ment demandé au Collège des médecins de « regarder la possibilit­é » que les IPS puissent poser un diagnostic. Elle a aussi suggéré au Collège de modifier la règle voulant que les patients vus par une IPS soient tenus de rencontrer un médecin dans les 30 jours suivants.

« Ils doivent me revenir à court terme, dans les prochaines semaines, avec une propositio­n », dit-elle.

Cette réforme « va peut-être être une petite révolution de l’accès en première ligne », avance la ministre, qui n’exclut pas la possibilit­é que les IPS puissent commencer à faire des diagnostic­s d’ici un an. « On va essayer », dit-elle.

Tout en négociant avec le Collège des médecins, Danielle McCann a bon espoir de convaincre les omnipratic­iens de

changer la façon dont ils sont payés. Elle veut qu’ils prennent en charge plus de patients, mais ne soient pas obligés de les voir en personne. Avec le nouveau système, ils pourraient être consultés par téléphone sans en subir un préjudice financier, par exemple. « Ils sont prêts, on les a rencontrés », dit l’ancienne dirigeante de l’Agence de la santé de Montréal.

La méthode douce

Aux antipodes de Gaétan Barrette pour ce qui est de l’approche, la ministre de la Santé préconise clairement la méthode douce avec les médecins. Depuis son arrivée, elle n’a pas non plus imposé de pénalités aux médecins de famille qui n’avaient pas atteint leurs cibles pour le nombre de patients. Elle a aussi cédé dans le dossier de la Régie de l’assurance maladie du Québec (RAMQ ) en abandonnan­t l’idée de rendre publics les noms des médecins qui surfacture­nt, ce qu’elle avait pourtant promis de faire en début de mandat.

La carotte sera-t-elle plus efficace que le bâton ? C’est le pari que fait Danielle McCann. «Quand je suis arrivée, le ministre était à couteaux tirés avec les fédération­s médicales. C’est très important parce qu’on n’avance pas dans ce temps-là. J’ai instauré une collaborat­ion. Le ton a changé », dit-elle.

«Les médecins réalisent que le système ne fonctionne pas. La population n’en peut plus, et je pense que les médecins, y compris la Fédération, [le] réalisent. » Son président, Louis Godin, «dit lui-même qu’il faut faire quelque chose », précise-t-elle.

Quand on lui fait remarquer que les médecins ont souvent résisté aux changement­s dans le passé, la ministre affirme qu’on verra des « changement­s graduels » et que le modèle sera « opérationn­el d’ici la fin du mandat ».

« On veut soutenir nos médecins de famille. On veut qu’ils prennent en charge davantage de patients, mais on ne veut pas qu’ils s’épuisent. Au contraire qu’ils se déchargent, qu’ils délèguent à d’autres profession­nels, dont les pharmacien­s. Et qu’ils aient la possibilit­é dans la prise en charge du patient de consulter le médecin spécialist­e sans être pénalisés. » Suivant cette logique, au lieu de voir 500 patients chacun par exemple, ils pourraient en voir 1000 parce que 50 % de leur temps serait libéré, explique-t-elle.

Rencontrée la journée de la publicatio­n d’une chronique remettant en question son leadership, elle n’a pas voulu dire quel était l’état de santé dudit leadership. « Vous en pensez quoi, vous ? », s’est-elle contentée de répondre avec un sourire en coin. Délestée cet automne de trois gros dossiers — les négociatio­ns (confiées à Christian Dubé), les CHSLD (Marguerite Blais) et le cannabis (Lionel Carmant), la ministre de la Santé a consacré toute son énergie aux soins de première ligne. La CAQ a promis pendant la campagne que tous les Québécois malades allaient pouvoir avoir une consultati­on en moins de 90 minutes d’ici la fin du mandat, et c’est là d’abord que les changement­s se feront sentir, dit-elle.

« Ça ne s’est jamais fait au Québec », dit-elle. « Dégager un potentiel qu’on a chez les profession­nels pour vraiment augmenter les services en première ligne. »

De l’air pour les infirmière­s

Or les effets de cette réforme ne se feront pas sentir demain matin. Que fera-t-elle d’ici là notamment pour aider les infirmière­s et les préposés aux bénéficiai­res qui sont débordés ?

Des fonds « ciblés » seraient prévus dans le budget, avance la ministre. « On va aussi avoir des ressources d’appoint. Il faut attendre le budget pour être plus précis là-dessus. »

Des fonds seront ainsi débloqués pour embaucher des préposés aux bénéficiai­res, des aides de service et des infirmière­s supplément­aires aux endroits où les besoins sont les plus criants.

« On ne peut pas nier qu’à certains endroits on est en dessous du ratio qu’on devrait avoir, vous comprenez, notamment dans certains CHSLD. Nous, on sait où. Donc on ne va pas ajouter des ressources à travers le Québec, mais là où on en a le plus besoin. »

La ministre caquiste a aussi demandé aux Centres intégrés de santé et de services sociaux (CISSS) de créer davantage de postes à temps plein pour les infirmière­s. Certains le faisaient déjà, mais elle souhaite que cela se généralise.

Elle n’a toutefois pas l’intention d’intervenir sur le salaire des préposés aux bénéficiai­res, qui demeurent très bas. « On n’est pas à cet endroit-là en ce moment », dit-elle. Pour « valoriser la profession », elle souhaite qu’ils soient formés à même les CHSLD et parle de «payer leur formation, au moins une partie ».

Le budget au printemps devrait aussi inclure les 200 millions de dollars promis pour les soins à domicile, mais il faudra attendre plus longtemps avant qu’il y ait un coup de barre dans le domaine des services en santé mentale.

Danielle McCann veut d’abord consulter. Ainsi, un forum, ou une consultati­on à l’image de celle organisée par Marguerite Blais sur la proche aidance, sera organisé ce printemps. La ministre souhaite alors tester les idées des proches de personnes malades auprès des experts.

Les médecins réalisent que le système ne fonctionne pas. La population n’en peut plus, et je pense que les médecins, y compris la Fédération, » [le] réalisent.

DANIELLE MCCANN

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RENAUD PHILIPPE LE DEVOIR Danielle McCann promet une nouvelle ère dans la relation entre les médecins et son ministère.

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