Le Devoir

Somptueux retour aux sources

Le concert de Jordi Savall à la salle Bourgie, samedi, fut un succès sur toute la ligne

- CHRISTOPHE HUSS

C’est sur l’emballemen­t irrésistib­le de la Bourrée d’Avignonez, oeuvre d’un anonyme du XVIe siècle publiée dans le Recueil de plusieurs vieux airs d’André Danican Philidor l’Aîné, que s’est achevé, dans une communion rare avec un public aux anges, le premier «grand concert classique » de Jordi Savall au Québec.

Le musicien catalan était venu deux fois en 2017 pour des projets multicultu­rels. Le premier, Venise millénaire, dans une salle, le théâtre Maisonneuv­e, indigne de son statut ; le second, Les routes de l’esclavage, pétri de bons sentiments mais de faible substance musicale, avait eu l’insigne honneur de la Maison symphoniqu­e. On n’aurait certes pas dédaigné retrouver la Maison symphoniqu­e cette fois-ci, mais toute question de capacité mise à part (les 467 places de la salle Bourgie, c’est bien exigu pour un tel géant de la musique), nous avions au moins, cette fin de semaine, un contenu parfait dans un écrin adapté.

Un événement déclencheu­r

Savall est venu avec cinq autres musiciens, dont Manfredo Kraemer au violon et Philippe Pierlot comme partenaire gambiste. Hélas, le grand théorbiste Rolf Lislevand, blessé, avait dû être remplacé. Son absence a été très honnêtemen­t comblée, même si son remplaçant, à l’aise dans les oeuvres extraverti­es, semblait ne pas trouver sa place dans certaines pièces intimes (Musettes I et II de Couperin).

Avec cette tournée nord-américaine, Jordi Savall effectue un heureux retour aux sources, à ces musiques françaises du film Tous les matins du monde, événement déclencheu­r qui a changé tant de choses pour le gambiste et chef d’orchestre.

Programme parfait, alternant les effectifs et les climats (intimisme des Concerts à deux violes égales de SainteColo­mbe, qui se sont admirablem­ent déployés après un début hésitant du Retour) et musiques brillantes, comme la Sonnerie de Sainte-Geneviève du Mont de Paris en fin de première partie ou les irrésistib­les Couplets de folies de Marin Marais.

Regarder le jeu d’archet de Jordi Savall est un plaisir et un spectacle en soi. Avoir des musiciens baroques qui s’accordent avec autant de soin et jouent avec une telle précision est un bonheur que l’on peut chérir à long terme et préserver comme modèle. Le talent de la programmat­ion et de l’agencement fait le reste, c’est-à-dire un concert dont l’auditeur sort avec un sentiment de plénitude et l’assurance d’avoir assisté à quelque chose de particulie­r et précieux.

Seule fausse note, le musicien a annoncé son rappel en anglais, oubliant que nous étions dans une métropole francophon­e. Jordi Savall et le Concert des Nations Lully: Danses du Bougeois gentilhomm­e. Jean de Sainte-Colombe : Concerts à deux violes égales n° 41, «Le retour», et n° 44, «Tombeau Les regrets». Eustache du Caurroy: Trois Fantaisies sur «Une jeune fillette». Marais: Pièces pour viole de gambe et basse continue du 2e et du 3e Livre. Sonnerie de Sainte-Geneviève du Mont de Paris. Couperin: Extraits des Concerts royaux et des Nouveaux concerts. Rameau: Tambourins I et II du 3e Concert des Pièces de clavecin en concert. Leclair: Sonate en trio op. 2 n° 8. Salle Bourgie, samedi 16 février.

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HERVÉ POUYFOURCA­T Regarder le jeu d’archet du musicien catalan Jordi Savall est un plaisir et un spectacle en soi.

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