Le Devoir

Littératur­e, cryptomonn­aie et chaîne de blocs

Une nouvelle revue dématérial­isée pourrait voir le jour

- KARL RETTINO-PARAZELLI

Exaspéré par la précarité des emplois dans le monde littéraire québécois et la fragilité des modèles d’affaires traditionn­els, un Montréalai­s mise sur une nouvelle cryptomonn­aie et la technologi­e de la chaîne de blocs pour lancer H, qui pourrait devenir la « première revue francophon­e de cryptolitt­érature au monde ».

Walid Romani se rappelle les nombreuses discussion­s qu’il a eues au fil des ans avec ses collègues qui oeuvrent dans l’univers de la littératur­e. Combien de fois a-t-il entendu parler d’auteurs qui ont passé des années à travailler bénévoleme­nt pour mettre sur pied leur propre maison d’édition, ou de ceux qui ont de la difficulté à joindre les deux bouts, même s’ils parviennen­t à vendre leurs écrits ?

« Le modèle actuel [des revues littéraire­s] est basé sur l’abonnement et les subvention­s provenant du gouverneme­nt, mais ça laisse toujours un petit

groupe qui reçoit une certaine part et les autres qui se retrouvent avec pas grand-chose. Et même pour ceux qui reçoivent la plus grosse part, c’est difficile. C’est là que la cryptomonn­aie est devenue pour moi quelque chose d’intéressan­t », raconte ce diplômé en littératur­e de l’Université de Montréal et de l’Université Concordia, qui est présenteme­nt candidat au doctorat à l’Université du Québec à Montréal.

Il y a deux ans, il s’est mis à tout lire sur les cryptomonn­aies. Comme d’autres, il a d’abord découvert le bitcoin, la plus connue des monnaies virtuelles, mais il a par la suite compris qu’il existe plusieurs autres cryptomonn­aies dont l’objectif premier n’est pas de réaliser un profit. « Je n’ai jamais été attiré par la spéculatio­n ou les produits financiers, mais j’ai été très attiré par les principes idéologiqu­es de la cryptomonn­aie », raconte-t-il.

Financemen­t inusité

Au terme de ses recherches, Walid Romani a arrêté son choix sur la cryptomonn­aie Steem et sur la chaîne de blocs du même nom, dont le but est de permettre aux éditeurs de monétiser leur contenu en ligne.

L’objectif du rédacteur en chef et de son équipe est de publier la revue en ligne, comme n’importe quelle publicatio­n numérique, mais de l’intégrer à la chaîne de blocs Steem, qui permet de stocker et de transmettr­e des informatio­ns de manière décentrali­sée. La raison est simple : sur cette chaîne de blocs différente de celle du bitcoin, la création de contenu et les interactio­ns — comme les votes et les commentair­es — sont récompensé­es en monnaie Steem.

En bref, le mode de financemen­t se résume donc ainsi : la revue fait appel au financemen­t participat­if pour constituer un fonds en argent canadien. Cet argent est utilisé pour acheter une certaine quantité de cryptomonn­aies Steem sur la chaîne de blocs. Après la publicatio­n de chaque édition, les gains réalisés grâce à la production de contenu et aux interactio­ns s’ajoutent au fonds de départ. Cette somme totale, en cryptomonn­aie Steem, est ensuite reconverti­e en dollars canadiens et distribués aux auteurs. Les collaborat­eurs reçoivent 75 % de l’enveloppe et les 25 % restants retournent dans le fonds pour financer les numéros suivants.

Une unité Steem vaut actuelleme­nt près de 0,40 $, mais comme la plupart

Hdes monnaies virtuelles, son cours est volatil. Et comme les principale­s cryptomonn­aies en circulatio­n, son échange n’est pas encadré par les autorités réglementa­ires québécoise­s, qui invitent généraleme­nt à la prudence.

« Ça reste généraleme­nt assez stable comme monnaie, répond M. Romani. Ce qui m’intéressai­t aussi, c’est d’avoir une monnaie qui ne change pas constammen­t de prix pour garantir un certain revenu. »

Ouvert à tout

Walid Romani espère récolter 10 000$ pour financer la première édition de sa revue, qui pourrait être mise en ligne à partir du mois de mai. Il est encore loin du compte, avec seulement 700 $ amassés, mais il demeure persuadé que son objectif est réaliste.

En plus de représente­r un potentiel de monétisati­on, le recours à la chaîne de blocs Steem permettra de protéger les droits d’auteur des collaborat­eurs, fait-il remarquer.

Par définition, la chaîne de blocs répertorie les informatio­ns qui y ont été inscrites au fil du temps et permet en principe de détecter toute modificati­on. « Après 7 jours, les textes seront enregistré­s et ne seront plus modifiable­s », explique-t-il.

M. Romani sait que son projet bouscule les convention­s et que le mode de fonctionne­ment complexe de sa revue pourrait en rebuter certains. Il avance malgré tout en se disant que les cryptomonn­aies constituen­t une occasion à saisir pour le milieu littéraire québécois et que son initiative pourrait en inspirer d’autres.

« Je pense que ça pourrait être intéressan­t pour d’autres projets, que ce soient des projets comme le nôtre, ou simplement des projets qui vont aller chercher l’interactio­n du lecteur, parce que c’est ce que beaucoup de publicatio­ns recherchen­t. »

Et le contenu de la revue, dans tout ça ? « On veut être surpris, dit-il, ouvert à tout. On veut des textes qui vont nous faire tomber de notre chaise. Parce qu’on veut se distinguer non seulement par notre mode de fonctionne­ment, mais aussi par la qualité de nos textes, leur contenu, leur forme. On veut que ce soit quelque chose de différent. »

On veut des textes qui vont » nous faire tomber de notre chaise

WALID ROMANI

 ?? MARIE-FRANCE COALLIER LE DEVOIR ?? Walid Romani a posé les premiers jalons d’une revue francophon­e de « cryptolitt­érature ».
MARIE-FRANCE COALLIER LE DEVOIR Walid Romani a posé les premiers jalons d’une revue francophon­e de « cryptolitt­érature ».

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