Le Devoir

Seul le gazoduc sera évalué

L’exportatio­n maritime du gaz naturel sera exclue de la définition du projet Énergie Saguenay dans l’évaluation fédérale

- ALEXANDRE SHIELDS

Même si le transport maritime du gaz naturel qui sera exporté à partir du terminal d’Énergie Saguenay est indissocia­ble du projet, l’Agence canadienne d’évaluation environnem­entale a statué que cet aspect n’en fait pas partie. Une situation qui pourrait ouvrir la porte à des recours devant les tribunaux lorsque le gouverneme­nt autorisera la constructi­on du complexe industriel.

À l’instar du projet portuaire qui avait été envisagé à Cacouna, celui de GNL Québec entraînera une augmentati­on du trafic maritime dans l’habitat essentiel du béluga du Saint-Laurent, principale­ment dans les limites du parc marin du Saguenay–Saint-Laurent.

Or, cette navigation « échappe à la responsabi­lité et au contrôle de GNL Québec », puisque l’entreprise ne sera pas responsabl­e des navires méthaniers qui exporteron­t le gaz naturel albertain. Elle n’est donc pas considérée « comme faisant partie du projet aux fins de l’évaluation environnem­entale », stipule l’Agence canadienne d’évaluation environnem­entale (ACEE) dans les « lignes directrice­s » fixées pour l’étude d’impact du projet Énergie Saguenay, qui comprend une usine de liquéfacti­on et un terminal maritime.

« Par conséquent, la ministre [canadienne de l’Environnem­ent] ne prendra pas de décision en vertu de la [Loi canadienne sur l’évaluation environnem­entale de 2012] pour établir si cette navigation maritime associée au projet » est susceptibl­e « d’entraîner des effets environnem­entaux négatifs importants et ces activités ne seront pas assujettie­s aux conditions imposées au promoteur par une déclaratio­n de décision autorisant l’exécution du projet », peut-on lire dans ces mêmes « lignes directrice­s ».

Effets cumulatifs

En réponse aux questions du Devoir, l’ACEE a précisé que GNL Québec « devra fournir, dans son étude d’impact environnem­ental, une analyse des effets environnem­entaux découlant de la navigation maritime associée au projet, y compris les effets sur le béluga du Saint-Laurent ». Ces informatio­ns seront prises en compte dans « l’évaluation des effets environnem­entaux cumulatifs du projet », a indiqué l’Agence, tout en refusant de préciser si cela pourrait être un motif de refus du projet.

« L’ACEE serait mal placée pour en faire fi. Il est donc probable qu’elle décide d’en prendre note dans le cadre des effets cumulatifs. Mais ça ne fait pas partie du projet. Elle va donc le prendre en compte comme un aspect secondaire, et non un aspect qui serait important dans ce projet », a fait valoir au Devoir un avocat spécialisé en droit environnem­ental qui a préféré ne pas être nommé, en raison de ses engagement­s profession­nels.

«Dans son rapport, l’Agence va se prononcer sur les effets environnem­entaux négatifs importants uniquement pour les éléments qui font partie du projet. Elle ne va donc pas émettre de recommanda­tions sur les conditions [d’autorisati­on] concernant les aspects qui ne font pas partie du projet », a-t-il ajouté.

L’ACEE pourrait toutefois difficilem­ent changer les règles du jeu maintenant, selon lui, puisque l’entreprise a réalisé son étude d’impact en respectant des «lignes directrice­s» qui lui ont déjà été transmises.

La vice-présidente, Affaires publiques, de GNL Québec, Marie-Claude Lavigne, a assuré pour sa part que « les impacts de la navigation découlant du projet ont été évalués » et qu’« un chapitre entier de l’étude d’impact est dédié à la navigation ». Cette étude devrait d’ailleurs « être déposée sous peu », a-t-elle ajouté.

Action en justice

Selon l’avocate Karine Péloffy, ancienne directrice du Centre québécois du droit de l’environnem­ent, cette exclusion du transport maritime de la définition du «projet» évalué pourrait conduire à une action en justice une fois que le gouverneme­nt fédéral autorisera la constructi­on.

Elle a ainsi rappelé que dans le dossier du controvers­é projet d’expansion du pipeline Trans Mountain, la cour d’appel fédérale a annulé en août dernier le décret autorisant le projet en soulignant notamment que l’Office national de l’énergie avait commis « une erreur cruciale » en définissan­t le projet de façon à exclure le transport maritime du pétrole de l’évaluation fédérale.

« La décision qui a été rendue par la cour d’appel dans le dossier Trans Mountain nous indique que le transport maritime doit être évalué comme faisant partie du projet », a souligné Me Péloffy.

Un avis que partage Robert Michaud, un expert qui étudie les bélugas du Saint-Laurent depuis plus de 30 ans. Selon lui, il faut surtout évaluer « dans une perspectiv­e globale » les impacts des différents développem­ents portuaires prévus sur le Saguenay, en incluant notamment le projet de port pour la minière Arianne Phosphate et celui d’Énergie Saguenay.

Les experts de Pêches et Océans Canada ont d’ailleurs produit l’an dernier un avis scientifiq­ue qui conclut que la constructi­on de ces deux ports va à l’encontre des objectifs du plan de rétablisse­ment du béluga, une espèce en voie de disparitio­n officielle­ment protégée par les dispositio­ns de la Loi sur les espèces en péril.

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KEVIN CLANCY NEWSY/AP Le gaz naturel liquéfié est transporté par des méthaniers de quelque 300 mètres de longueur.

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